Je dirais même plus...

mardi 29 décembre 2009

Dessins burlesques sans bulles


Anglais ou non, l'humour dit "absurde" n'est pas ma tasse de thé. Je dirais même qu'il suffit qu'on me vante les mérites de telle ou telle oeuvre "décalée" ou "burlesque" pour que je sorte mon revolver. Question d'expérience : j'ai appris à mes dépens que ces adjectifs n'étaient, la plupart du temps, que des cache-misère, voire des alibis donnant à des gus dépourvus du moindre talent d'écriture le droit d'emmerder le monde. Peu importe.
J'ai donc craint le pire lorsque, en déballant mes cadeaux, je tombai sur Le Monde de Glen Baxter. A en croire la quatrième de couverture, en effet, ce recueil de dessins humoristiques devait me plonger "dans un univers incongru voire délirant, anachronique et surréaliste". Aïe ! Tout ça à la fois ? Je pris cependant mon courage - et ledit recueil - à deux mains et en entamai la lecture.
Résultat : j'ai ri à gorge déployée du début à la fin ! Le ressort inventé par Baxter est aussi simple qu'efficace : il s'agit d'apposer des légendes effectivement décalées à des dessins dont le style parodie celui des romans éducatifs pour adolescents des années 30-40. Celui qui illustre ce billet est mon préféré.

samedi 26 décembre 2009

L'esprit de Noël




Deux pépites en deux jours, la moisson fut bonne :

Dementia 13, l'un des premiers longs-métrages de Francis Ford Coppola (1963). L'un de ces films qui s'avèrent d'autant plus charmants qu'ils sont bourrés de maladresses. La seule surprise que nous réserve celui-ci est que tout s'y déroule exactement comme prévu... Une jeune blonde que la vertu n'étouffe pas, un huis-clos familial dans une sinistre propriété irlandaise, une petite soeur morte noyée dans un étang des années auparavant, et roulez jeunesse ! Un mélange d'Edgar Poe (le film précédent de Coppola était d'ailleurs une adaptation d'un de ses contes) et de Psychose (sorti trois ans plus tôt).

Boulevard de la mort (Death Proof, 2007), de Quentin Tarantino, rappelle quant à lui discrètement le Duel de Spielberg, moins le scénario en ligne droite, puisqu'ici tout n'est que détours délirants. Tarantino ne nous donne le temps de connaître les héroïnes de la première moitié du film que pour mieux les écrabouiller dans une scène de collision frontale mémorable. Les rôles s'inversent dans la seconde moitié, où le chasseur - joué par Kurt Russell - cascadeur ringard et psychopathe à ses heures perdues, devient la proie. Réalisation soignée, dialogues cultes, juste ce qu'il faut de cul. Mais quel dommage que le DVD ne contienne pas ces chefs-d'oeuvre que sont les fausses bandes-annonces Grindhouse.

lundi 21 décembre 2009

Tchouk-tchouk-nougat

J'adore écouter la radio et regarder les JT pendant les vacances de Noël. Quand la météo s'en mêle, il tombe souvent autant de perles que de flocons. Pendant un quart de seconde, quand on prend le train en marche (si je puis dire), on croit toujours qu'il est question d'un séisme ou d'un tsunami. Mais non...
"Une actualité ferroviaire très chargée, aujourd'hui..." (Qu'est-ce diable qu'une actualité ferroviaire ?)
"Pour les usagers qui souhaitent se rendre dans le sud-est de la France, c'est un véritable calvaire". Gros plan sur une jeune femme hystérique, au bord des larmes, hurlant : "On nous a menti ! On nous a abandonnés ! On nous a laissés sur les quais pendant quatre heures sans eau !!!" Un autre, avec le plus grand sérieux : "Si on ne me rembourse pas mes frais, j'entame une grève de la faim !"
Duplex avec la gare de St Pancras, à Londres. Le journaliste, l'air grave : "On estime que 2,5 millions de personnes comptaient prendre l'Eurostar pour aller passer les fêtes de fin d'année en France. On n'ose imaginer ce qui se passerait si le trafic devait rester bloqué..." (Au contraire, il serait fort drôle de l'imaginer...)
Sans oublier l'indémodable : "C'est un scandale qu'en 2009, en France (pays des droits de l'homme), on puisse encore voir des choses pareilles !" ni le réjouissant : "Il faut ouvrir une enquête et tirer toutes les conséquences de ces incidents".

dimanche 20 décembre 2009

Poudre blanche dans le nez


En toute objectivité, en toute modestie, le monde n'a quand même jamais connu de chienne si belle...

jeudi 17 décembre 2009

Les soucis ont du souci à se faire

Décidément, l'affaire est entendue. Il n'existe plus nulle part de problèmes. Pas la queue d'un. Circulez.
C'est que, depuis un bon moment déjà, les soucis les ont tous envoyés au diable, les problèmes. Ils sont d'abord arrivés subrepticement, ces soucis ; malicieusement planqués derrière la négation de leur propre existence. Y'a pas de souci, qu'ils disaient tous. Vous faites pas de bile, en somme. On n'est pas là. On n'existe pas. Y'a pas de souci. Mais il y en avait... Et même de plus en plus.
Lorsqu'ils se sont sentis en confiance et supérieurs en nombre, les soucis sont passés à l'attaque, pour de bon. Finie, la marche au "pas" ! Les masques pouvaient tomber. On aurait dû le voir venir, du reste : y' va y avoir un souci, ça risque de poser un souci, nous avertissait-on à tout bout de champ. Et puis, enfin, l'invasion eut lieu : il y eut des soucis partout, en veux-tu, en voilà. Même l'alliance que contractèrent dans l'urgence les problèmes avec la vérité (c'est un vrai problème) ne put les sauver du désastre. Ils étaient faits comme des rats. Un vrai génocide !
Seulement ce qu'ils ne semblent pas voir, les petits soucis, tout enivrés qu'ils sont de leur victoire, c'est qu'ils risquent à leur tour d'en avoir un gros. Et sans tarder, encore. Car, tapies dans l'ombre, les soeurs inconsolables et vindicatives des défunts problèmes méditent déjà leur vengeance et rêvent de les détrôner. Ces soeurs, ce sont bien sûr les problématiques. Grassouillettes, satisfaites d'elles-mêmes, conscientes de leur charme, elles s'appliquent d'ores et déjà, telles les tentacules d'une pieuvre gluante, à infiltrer tous les débats les plus insignifiants, tous les sujets les plus glauques, tous les terrains les plus consensuels : la problématique du tri sélectif, la problématique des transports, la problématique de la neige, la problématique du temps de travail, la problématique de l'agriculture, la problématique de la culture...
L'hypothèse d'un mariage de circonstance qui mettrait fin à ces conflits n'est toutefois pas à exclure totalement, et l'on ne peut qu'être impatients de découvrir quels merveilleux rejetons lexicaux engendreraient, si cette union devait être consommée, nos soucis problématiques.

dimanche 6 décembre 2009

Chroniques de la post-Histoire

Le « père » est un espoir sur lequel personne, aujourd’hui, ne peut plus compter. La « domination masculine » elle-même, effacée depuis longtemps, n’est plus qu’un de ces dieux devant lesquels on se prosterne, en hurlant qu’on les exècre, parce qu’on les sait irrémédiablement et dramatiquement absents. Homo festivus, l’éradicateur furieux de toutes les différences, aurait mauvaise grâce à se plaindre d’une telle situation, à l’établissement de laquelle il œuvre depuis tant d’années. Mais c’est seulement aujourd’hui que commencent à lui en apparaître les premières conséquences ; et qu’il s’en trouve surpris. La destruction savante des moindres résidus d’antagonismes, jusque dans les ultimes fondements anthropologiques de la société (identité sexuelle, langage, etc.), induit un effacement de l’autre de toute évidence sans exemple à aucune époque ; et c’est alors qu’Homo festivus se découvre non seulement cloné, ou clonique, mais également clownesque : on ne peut pas avoir le beurre de l’indifférenciation et l’argent du beurre de l’individualité. Que l’on devienne, par la même occasion, insignifiant, vaguement touchant, un peu dérisoire, peut-être risible, n’est que le résultat d’une telle situation. Le comique ne vient d’ailleurs plus, de nos jours, que du spectacle des néo-individus veufs de l’autre sous toutes ses formes (veufs de l’adversaire, de l’ennemi), mais continuant, pour se sentir exister (comme idée, comme projet, comme projection), à en combattre le fantôme avec des postures de matamores. (p. 234)

Déterritorialisateur et convertisseur tyrannique, Homo festivus, qui est en même temps et toujours un adulte retombé en enfance, ne saurait donc avoir le moindre goût pour ce qui ne lui ressemble pas. Et comme ce qui ne lui ressemble pas a été définitivement classé par lui dans la rubrique « archaïsmes et autres divagations malfaisantes », il ne peut qu’en demander la disparition ; et avoir gain de cause. Le retournement de la prédation touristique en catéchèse des droits de l’homme est le coup de force par lequel le touriste contemporain assoit une légitimité dont on peut être certain qu’elle lui survivra. Que ce soit en charter, par bateau ou en car, tous ses déplacements se font sous le couvert du droit d’ingérence. Partout où il se trouve, ce convertisseur si satisfait de lui-même a la loi pour lui ; et tout ce que ce prêcheur pourrait rencontrer qui ne s’accorderait pas avec sa perpétuelle homélie devrait être bien entendu éliminé d’office.
À la curiosité pour la planète succède son annexion. Homo festivus, lorsqu’il part en voyage, se veut bien sûr, et comme toujours, aussi jeune que possible, ouvert, tolérant, joyeusement accessible à tous les particularismes. Il se définit aussi avec fierté, sans que personne ne songe à lui contester ce titre, et parce qu’il ne saurait exister, dans ce domaine comme dans les autres, sans le label de l’« anticonformisme » ou de la « rébellion », comme anti-touriste ; mais ce que ce militant de la sécurité mondialisée poursuit d’un bout du monde à l’autre, c’est le roman de sa conquête et l’extension colonialiste de ses « idéaux », dont il ne lui vient jamais un seul instant à l’esprit qu’ils ressuscitent à nouveaux frais l’ancien impérialisme ; et aussi qu’ils pourraient n’être que de nouveaux préjugés qui n’auront qu’un temps (et que déjà menace de délégitimation une critique elle-même imprévisible). (p. 291)

Aucune dignité n’est plus autorisée, et jusque dans les ultimes secondes de l’existence. Il n’est même plus permis de disparaître, je veux dire de mourir, autrement que parmi les fumigènes pestilentiels de la honte festive. De sorte que toutes ces manifestations infectes sont l’apothéose même de l’incivilité plébiscitée, au moment précis où, comme par hasard, se trouve porté aux nues le gâtisme citoyen, où se répand l’éloge d’une citoyenneté rhétorique, et hypocrite, d’un vivre-ensemble partout, et officiellement, et sciemment, et méthodiquement anéanti. Qui a jamais songé, une nuit de rave, un soir de Love Parade ou de Gay Pride, à tous les moribonds giflés dans l’atrocité même de leur travail de mort par la hideur mille fois plus grande encore, dans la mesure où il n’est même pas permis de ne pas l’approuver, de la musique qui leur est imposée, et parce que leur immeuble a le malheur de se trouver sur le passage des troupes d’occupation hyperfestive ? Les malades ou les mourants, dans l’époque qui commence, n’ont plus droit à leur propre tragédie. Même cet atroce privilège leur est confisqué. L’accès à l’horreur qu’ils vivent malgré tout leur est interdit. On veut bien qu’ils meurent, mais à la seule condition que ce soit de rire. Et c’est dans un temps, précisément, où le rire est devenu impossible, puisque tout le monde est respectable et que tout le monde est fier, et où le comique est citoyen, c’est-à-dire sinistre (…), qu’on dépêche aux mourants des clowns d’hôpital pour les faire crever à gorge déployée. (p. 448)

Après bien d’autres mea culpa, le temps de la repentance collective est proche, concernant ces milliers d’années de l’Histoire au cours desquelles, dans le seul but de flatter le narcissisme de notre espèce, on a donné à l’homme un statut supérieur et voulu croire qu’il possédait le monopole de la pensée. Ce moment de contrition générale s’accompagnera sans nul doute de géantes cérémonies de réconciliation et de festivités sans fin. Celles-ci auront bien entendu été précédées d’une rapide campagne au cours de laquelle il sera enfin démontré que la législation actuelle concernant les droits des animaux n’est plus adaptée, qu’il faut cesser de considérer comme anecdotiques les multiples humiliations, exclusions ou plaisanteries dont ces derniers sont jusqu’à présent l’objet, ainsi que toutes les formes de victimisation ou tous les comportements discriminatoires qu’ils ont à subir depuis si longtemps.
Lorsque cette action positive en faveur de l’égalité des chances pour le monde animal aura porté ses fruits, et que des anomalies qui jusque-là paraissaient naturelles ou fatales seront devenues inadmissibles, alors toutes les capitales du monde organiseront des défilés monstres, des espèces de Zoo Prides ou d’Animals Parades, avec des cortèges impressionnants de camions sono sur lesquels des bêtes enrubannées, d’adorables brebis peintes en mauve, des cochons à clochette, des hamsters piercés, des souris blanches sur rollers, des lionnes tatouées à l’omoplate et des chimpanzés en bikini rescapés de laboratoires d’expérimentation se trémousseront au rythme de la néo-musique ; tandis que, derrière les chars de ce Pardon techno, pieds nus et corde au cou, défileront dans une tornade de honte et sous les huées de la foule convertie d’innombrables délégations de propriétaires d’élevages à la chaîne, de directeurs de zoos et de chercheurs scientifiques. Pour leur peine, ils seront interdits de téléphone portable pendant au moins quinze jours. (p. 474-5)

Tous ceux qui apparaissent en première ligne dans la société hyperfestive relèvent, d’une façon ou d’une autre, de la nouvelle profession des dresseurs, des encadreurs et des rééducateurs. Mais ils ne doivent, bien entendu, jamais être nommés comme tels. On les appellera donc, par exemple, « artistes provocateurs » ; ce qui est d’autant plus curieux si l’on se souvient de ce qu’était un provocateur dans la période historique : une personne qui, travaillant en apparence pour l’insurrection, mais en réalité pour l’ordre établi, poussait des individus ou des groupes à se lancer dans des actions illégales de manière à déclencher des opérations de répression policière. Une sorte de sous-flic, en somme, et même quelqu’un de pire et de plus sale qu’un véritable flic. Sous cet angle, il faut bien le dire, le terme est assez justement choisi, quoique de manière inconsciente, dans la mesure où les « artistes » contemporains ne sont plus que des salariés parmi d’autres du nouvel ordre établi, et des glorificateurs appointés de sa nouvelle harmonie présentée comme déglinguée afin d’allécher les générations émergentes pour qui l’avant-garde c’est le lait maternel. Ils poussent à l’ordre comme on poussait au crime ou à l’insurrection. Et ils n’existent que par là, bien qu’ils fassent encore semblant de se plaindre du « manque d’éducation visuelle » du public ; lequel manque serait à l’origine de tous les malentendus que ce public entretient avec leurs belles œuvres. Mais le champ éducatif dans lequel ils sévissent ne se limite nullement à cette pauvre question visuelle. C’est tout l’être humain qu’ils doivent réadapter et rééduquer. Heureusement pour eux, ils ne sont pas les seuls à qui cette tâche échoit ; et l’être humain actuel, ou ce qui lui succède, n’est aucunement rebelle à cette perspective. (p. 563-4)

C’est (…) dans le but de mettre hors de portée de la critique les éléments primordiaux de la nouvelle civilisation que l’on voit proliférer certains mots dont le sens n’est plus, bien sûr, interrogé par personne. Ils n’ont d’autre fonction que de sacraliser, ou de blackouter, ce qui ne devra plus être contesté. Et ils deviennent, dès cet instant, comme on le dit en linguistique, des termes non marqués ; ce qui signifie qu’ils n’ont plus d’opposition ; ou que celle-ci a été définitivement neutralisée ; et qu’en tout état de cause ils ne se frottent plus à aucune réalité. Ils accèdent alors à une sorte de statut divin ; et à ce paradis de la naturalité ou de la normalité dont nous savons, par ailleurs, qu’Homo festivus ne cesse de chasser tout ce qui lui paraît contraire à ses intérêts. Quand on peut entendre la déplaisante romancière Darrieussecq, sur un plateau de télévision, affirmer qu’elle vote « naturellement » à gauche, il est évident que tout s’est renversé, que la désagrégation de toute pensée est arrivée à son terme, et que ce vocable, « gauche », ne désigne plus un ensemble d’idées politiques, ou une fraction de l’opinion, comme naguère, comme du temps de Marx, de Jaurès et de bien d’autres (où être de gauche représentait un véritable travail et un combat de la pensée, non un prétendu fait de nature et en réalité une paresse crasse de l’esprit, mais un effort constant du négatif, et un assaut contre les évidences, précisément, et contre le « naturel »), mais qu’il s’agit désormais du plus vautré des conforts intellectuels, et du plus poisseux des « être-ensemble » qui aient jamais été, transfigurés en position divine et sublime, ou encore d’un de ces termes non marqués d’où le conflit (l’Histoire) s’est évaporé miraculeusement, et dont le contenu n’a même plus besoin d’être argumenté puisqu’il relève du naturel et de l’universel : en ce sens, il correspond parfaitement à un monde qui se passe de réel et qui ne s’en porte que mieux, s’épanouissant dans les délices de Capoue d’une prétendue position politique qui n’est plus qu’une mystique de confort, et un naturisme routinier, présentés comme une exaltante conquête de l’esprit. (p. 599-600)

Philippe Muray, Après l'histoire, Tel Gallimard, 2000

lundi 30 novembre 2009

What else?

Revue de presse ce matin sur Europe 1 :
Après les résultats du référendum en Suisse sur l'interdiction des minarets, le correspondant de Libération à Genève "en vient à se demander si la démocratie est le meilleur modèle".
Tout est dit.

mardi 24 novembre 2009

A nous deux, Hollywood !


L'autre soir, alors que je ruminais tardivement une pizza aux trois fromages devant une série policière quelconque (vraiment quelconque), j'eus une illumination. Mon cerveau fécond venait d'imaginer le scénario ultime, reproductible à l'infini, qui éviterait bien des peines et des dépenses aux producteurs d'Hollywood. Jugez plutôt :
Une sauterie en plein air, au bord d'une piscine. Jolies filles en bikini qui se trémoussent. Musique à fond. Alcool à gogo. Tout va bien.
Les convives s'avisent soudain qu'un vieux cadavre tout boursouflé et mutilé flotte au milieu du bassin. Détail macabre : il tient encore sa coupe de champagne à la main qui lui reste. C'est le maître des lieux. Cris. Panique.
Générique d'introduction.
L'équipe des experts arrive sur les lieux. Premières constatations : le pauvre diable, avant d'être jeté à l'eau, a été assommé et eviscéré. L'hypothèse du suicide ou de l'accident sont rapidement écartées.
Présentation succinte des suspects : la femme de la victime (femme fatale qui n'a pas l'air très chagrinée de la situation, cette salope) ; le jardinier du domaine (beau mec viril avec qui elle vivait une liaison torride, parce que sa lopette de mari ne savait plus la satisfaire) ; le barman de la fête (type entre deux âges aigri qui en a vu de belles au cours de sa carrière, dans cet univers de milliardaires décadents qu'il ne supporte plus). A l'inverse, le frère cadet de la victime, à peine sorti de l'adolescence, bouleversé, désespéré, semble au-dessus de tout soupçon.
C'est alors qu'arrive en 4x4 noir le patron des experts (professionnel laconique qui conserve sa part d'ombre, ses blessures secrètes) avec une machine révolutionnaire, le "Flair-coupable". Posté devant l'assemblée, il appuie sur un bouton. La machine, équipée d'un bras robotisé, désigne alors immédiatement (et contre toute attente) le frère de la victime. Une voix de synthèse confirme : "C'est bien lui".
Protestations inutiles du perfide frangin (il a eu tort, aussi, de se croire le plus malin). Acculé, il finit par avouer : il était jaloux de son frère, qui avait réussi, avait une femme superbe, etc. Il est menotté et emmené. Au passage, le patron des experts lui envoie une réflexion bien sentie, tout en remettant ses lunettes de soleil ("Vous avez joué, vous avez perdu !" - Vlam ! Dans les dents ! Ah ah ! Faut pas le faire chier le patron des experts...)
Générique de fin.

lundi 16 novembre 2009

Fais tes devoirs, sinon on dialogue !


Pan-pan cul-cul pas bien, donc. Comme à l’accoutumée, la « proposition » a surgi de nulle part, enduite d’une rhétorique moderniste désormais incontournable : la « France-en-retard » ou « à-la-traîne », les « statistiques-qui-prouvent-que-dans-les-autres-pays-européens », le « problème-de-la-maltraitance-que-nul-ne-saurait-cautionner », etc.
Une fois ce petit chantage intellectuel de routine mis en place, ladite proposition (dont l’avenir n’a, bien entendu, aucune espèce d’importance) pourra, éventuellement, jouer le rôle convenu ; autrement dit « faire polémique ». Je dis bien « éventuellement », car on fabrique tant de ces « affaires » en carton-pâte à l’heure qu’il y a forcément du déchêt. Soyons optimistes et gageons que celle-là connaîtra son heure de gloire.
Dans les journaux, les « psychologues », « spécialistes » et autres « consultants » ès éducation ne manqueront pas de donner leur avis satisfait sur la question, à grand renfort de novlangue. Psychologies fera semblant de s’interroger : « Éducation stricte : bonne ou mauvaise idée ? » tandis que Version Femina proposera à ses lectrices (et lecteurs) un test « drôle et décalé » : « Votre bout’chou est-il un enfant-roi ? »
Sur toutes les radios, dans la rubrique « Vous avez la parole », Jeanine, 67 ans, de Vaulx-en-Velin, pourra hurler que cette proposition est un scandale, qu’il n’y a « plus de valeurs » et que, de son temps, les mouflets se prenaient des taloches sans broncher.
À la télévision, des « débats citoyens libres de ton » seront organisés. Des « pédopsychiatres », des « mamans » et surtout des « papas » y vanteront les mérites d’une « éducation douce », « basée sur la pédagogie et le dialogue ». Quelques idiots utiles viendront charitablement leur servir de contradicteurs. Avec un peu de chance, ils auront le temps de marmonner timidement des mots comme « autorité », « recadrage » ou « respect » avant de se faire rire au nez et traiter de « réactionnaires phallocrates ». Les plus kamikazes s’enhardiront peut-être jusqu’à suggérer que l’angélisme en matière d’éducation n’a jusqu’à présent pas donné de résultats probants et que, si les enfants n’ont pas l’air spécialement plus épanouis qu’avant, il ne fait en revanche aucun doute qu’ils sont de plus en plus insupportables. D’autres, plus spirituels ou plus nihilistes, se risqueront à la rigueur à affirmer que, quand bien même la fessée n’aurait aucune vertu pédagogique pour l’enfant, elle a parfois le mérite de soulager certains parents et de leur éviter l’ulcère, ce qui n’est tout de même pas si mal.
Comme d’habitude, en tout cas, personne ne songera à remettre radicalement en cause l’hystérie légaliste ambiante qui a rendu l’existence même de cette hallucinante proposition possible, ni à pointer du doigt la seule chose qu’elle représente vraiment : une énième forme d’ingérence bien-pensante dans la sphère privée. La question de l’opportunité d’une loi interdisant les « châtiments corporels » se trouvera rapidement réduite à un débat « Pour ou contre la fessée ? », le postulat étant que, s’il était prouvé que la fessée est bel et bien néfaste, il faudrait naturellement une loi pour l’interdire.
Et surtout, comme d’habitude, personne ou presque ne rira à gorge déployée du grotesque de la situation, qui ne manque pourtant pas de sel. D’abord, parce qu’elle illustre merveilleusement le pouvoir qui reste aujourd’hui au politique et l’envergure des affaires qu’il traite (avec le plus grand sérieux). Ensuite, parce que nos charmants petits Matis, Théo, Morgane et autres Enzo n’ont certes pas attendu cette ultime boutade pour faire subir à leur entourage leur despotisme procédurier et leur terrorisme affectif.
Pondre une loi rendant la fessée obligatoire, au point où nous en sommes arrivés, cela aurait déjà été à peu près aussi sérieux que de porter un ciré à Tchernobyl pour se protéger des radiations ; mais concocter une loi l’interdisant, cela confine au sketch burlesque. Un peu comme si le commandant du Titanic pissait dans ses cales inondées en chantant « Nearer, my God, to Thee »…

dimanche 15 novembre 2009

Une entreprise dont l'exécution n'aura point d'imitateur

Comme Mlle Lambercier avait pour nous l'affection d'une mère, elle en avait aussi l'autorité, et la portait quelquefois jusqu'à nous infliger la punition des enfants quand nous l'avions méritée. Assez longtemps elle s'en tint à la menace, et cette menace d'un châtiment tout nouveau pour moi me semblait très effrayante ; mais après l'exécution, je la trouvai moins terrible à l'épreuve que l'attente ne l'avait été, et ce qu'il y a de plus bizarre est que ce châtiment m'affectionna davantage encore à celle qui me l'avait imposé. Il fallait même toute la vérité de cette affection et toute ma douceur naturelle pour m'empêcher de chercher le retour du même traitement en le méritant ; car j'avais trouvé dans la douleur, dans la honte même, un mélange de sensualité qui m'avait laissé plus de désir que de crainte de l'éprouver derechef par la même main. Il est vrai que, comme il se mêlait sans doute à cela quelque instinct précoce du sexe, le même châtiment reçu de son frère ne m'eût point du tout paru plaisant. Mais, de l'humeur dont il était, cette substitution n'était guère à craindre, et si je m'abstenais de mériter la correction, c'était uniquement de peur de fâcher Mlle Lambercier ; car tel est en moi l'empire de la bienveillance, et même de celle que les sens ont fait naître, qu'elle leur donna toujours la loi dans mon coeur.
Cette récidive, que j'éloignais sans la craindre, arriva sans qu'il y eût de ma faute, c'est-à-dire de ma volonté, et j'en profitai, je puis dire, en sûreté de conscience. Mais cette seconde fois fut aussi la dernière, car Mlle Lambercier, s'étant aperçue à quelque signe que ce châtiment n'allait pas à son but, déclara qu'elle y renonçait, et qu'il la fatiguait trop. Nous avions jusque-là couché dans sa chambre, et même en hiver quelquefois dans son lit. Deux jours après on nous fit coucher dans une autre chambre, et j'eus désormais l'honneur, dont je me serais bien passé, d'être traité par elle en grand garçon.
Qui croirait que ce châtiment d'enfant, reçu à huit ans par la main d'une fille de trente, a décidé de mes goûts, de mes désirs, de mes passions, de moi pour le reste de ma vie, et cela précisément dans le sens contraire à ce qui devait s'ensuivre naturellement ? En même temps que mes sens furent allumés, mes désirs prirent si bien le change, que, bornés à ce que j'avais éprouvé, ils ne s'avisèrent point de chercher autre chose. Avec un sang brûlant de sensualité presque dès ma naissance, je me conservai pur de toute souillure jusqu'à l'âge où les tempéraments les plus froids et les plus tardifs se développent. Tourmenté longtemps sans savoir de quoi, je dévorais d'un œil ardent les belles personnes ; mon imagination me les rappelait sans cesse, uniquement pour les mettre en œuvre à ma mode, et en faire autant de demoiselles Lambercier.
Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions, Livre premier, 1765-1770.

mercredi 4 novembre 2009

Tu veux un Carambar ?

Question :
Quel est le comble du pédophile ?

Réponse :
Déclarer : "La femme qui me fera jouir, elle est pas encore née !"

mardi 3 novembre 2009

Frappe chirurgicale

Trouvé par hasard sur le site de l’Éducation Nationale. Prions pour que ces bijoux soient mis en ligne, le moment venu !

La lutte contre les discriminations et les représentations négatives est une des priorités de notre académie. En outre, apprendre à vivre ensemble, à se respecter mutuellement et à s'enrichir des différences est également l'une des missions assignées à notre école.
C'est dans cette optique que les lycéens élus au Conseil Académique de la Vie Lycéenne ont souhaité organiser un concours lycéen contre les discriminations : en réalisant seul, en groupe ou par classe avec un enseignant, une affiche, une photo ou même un clip vidéo illustrant la lutte contre toute représentation négative de l'autre, les élèves des lycées parisiens favoriseront une vision positive du « vivre ensemble » et de la tolérance.
Ce concours est ouvert du 15 octobre 2009 au 15 janvier 2010.
Le jury, composé des lycéens du CAVL et de représentants d'associations, se réunira et remettra les prix en février 2010.
Lycéens, engagez-vous pour combattre toute forme de discrimination et participez au concours !

lundi 2 novembre 2009

jeudi 22 octobre 2009

Demandez-vous, belle jeunesse...

Ils étaient usés à quinze ans
Ils finissaient en débutant
Les douze mois s'appelaient décembre
Quelle vie ont eue nos grands-parents
Entre l'absinthe et les grand-messes
Ils étaient vieux avant que d'être
Quinze heures par jour le corps en laisse
Laissent au visage un teint de cendre
Oui not' Monsieur oui not' bon Maître
Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?
Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?

lundi 19 octobre 2009

Dans quelle poubelle ?

Ce matin, une affiche épinglée dans le local à poubelles de mon immeuble m'avise que je peux recevoir "la visite à [mon] domicile d'un ambassadeur du tri", afin de me "sensibiliser aux gestes du tri sélectif". En outre, j'ai le bonheur d'apprendre que cette initiative citoyenne a été concoctée par l'association "Toubitri", dont les membres se targuent d'être des "agitateurs du tri".
Ou comment faire du recyclage des boîtes de conserve et des bouteilles de lait un acte à la fois diplomatique et subversif.

jeudi 15 octobre 2009

Ole Mahatma

Conversation entre deux étudiants ce matin :
- Last summer, I went to Barcelona and visited the Sagrada Familia, by the famous architect, you know...
- Oh yes! Gandhi?

dimanche 11 octobre 2009

Rôle décomposition

On ne peut qu'être frappé par le fait que les acteurs et les comédiens, qui comptent aujourd'hui parmi les notables les plus gras de notre société et en sont, pour beaucoup, le plus médiocre reflet (puisque le septième art n'a lui-même plus d'autre ambition que de "refleter les problématiques qui sont les nôtres") ; on ne peut qu'être frappé, donc, par le fait que ces sinistres farceurs n'aient de cesse de se déclarer de "distants observateurs" de leur époque, dans le conformisme de laquelle ils sont pourtant englués de toute leur âme, et qu'ils soient les plus prompts à dégainer la ritournelle - inoffensive, il est vrai - de l'anticonformisme.
Ainsi, rien n'est plus distrayant que d'entendre ces faquins évoquer avec la fatuité la plus outrée (mais sans déclencher le moindre sourire) les chefs-d'oeuvre "engagés" et "décalés" auxquels ils ont eu "l'immense privilège" de participer. Il faut souligner, à leur décharge, que les préposés en promotion qui les reçoivent pour écouter complaisamment leur babil leur mâchent grandement le travail. "Ce film, ça a été une vraie aventure humaine ?" et "Pour ce rôle, vous vous êtes vraiment mis en danger ?" semblent être devenues deux des questions incontournables de ces autres bouffons sincères que l'on nomme journalistes. La mousse est prête : il n'y a plus qu'à s'en enduire. Et à enchaîner sur le statut toujours précaire, "sur le fil" - mais par là même noble - de l'acteur. Le mot "acteur", du reste, est déjà de trop si l'on en croit les principaux intéressés : "Je ne suis qu'un saltimbanque, un marginal, affirment-ils sans broncher, tout potelés de leurs succès et roses de leur satisfaction. Je suis un héritier de Molière, iconoclaste dérangeant enterré dans la fosse commune (car Poquelin est aujourd'hui à l'artiste ce que Hitler est à l'anti-raciste). Je ne suis qu'un clown triste". Pour le coup, ils ne pensent pas si bien dire. C'est sûrement cela que l'on appelle l'ironie dramatique.

vendredi 9 octobre 2009

La radoteuse de Serge

Madame Nostalgie
Tu pleures sur un nom de ville
Et tu confonds, pauvre imbécile,
L'amour et la géographie.

mardi 6 octobre 2009

Farce moderne en un acte

Scène 1

Une voix féminine enregistrée, peut-être enjouée mais noyée dans du bruit vivaldien (Les Quatre saisons, version catastrophe climatique) :
Tous nos techniciens sont occupés. Nous nous efforçons d’écourter votre attente. Votre attente ne devrait pas durer plus de… DIX MI-NUTES… … … Tous nos techniciens sont occupés. Nous nous efforçons d’écourter votre attente. Votre attente ne devrait pas durer plus de… QUINZE MI-NUTES… … … Tous nos…


Scène 2

- Allô bijour missieur, ici le service assistance hotline de Cdescons.com. En quoi puis-je satisfaire votre demande ?
- Bonjour. Je vous appelle parce que l’imprimante wi-fi que je viens d’acheter sur votre site ne fonctionne pas correctement. Aucune touche ne réagit, et en plus elle ne trouve pas le réseau.
- D’accord missieur. Y’a pas d'souci. Ji vais vous demander de faire li manipulations suivantes. Vous y êtes prêt ?
- Oui.
- Vérifiez que l’imprimante elle est bien reliée à une prise électrique, siouplaît missieur.
- Euh… Bah oui, évidemment !
- Si ça ne marche toujours pas, vérifiez que vous avez bien une connexion internet, missieur.
- C’est Béliveau, au bout du fil, là ? C’était une farce, l’annonce de ta mort ?
- Pardon, missieur ?
- Non rien. J’ai vérifié mais ce n’est pas ça.
- Bien. Vous avez bien un ordinateur, hein ?
- Il semblerait, oui…
- Bon, alors missieur, c’est peut-être un problème di ritour.
- De retour de quoi ?
- Non ! Di RI-TOUR, sur li réseau.
- Ah ! De routeur ?
- Oui. Ji vais vous faire un bon di ritour pour le produit.
- Et ça consiste en quoi, au juste, un bon de routeur ?
- Non ! Di RI-TOUR, pour nous renvoyer le produit.
- Ah, oui, pardon … Donc il faut que je vous renvoie l’imprimante par colis ? Mais qui paie les frais de transport ?
- Li frais di ritour ils sont à la charge du client, missieur.
- Comment ? Mais enfin ce n’est quand même pas ma faute si votre produit est défectueux ! Vous savez combien ça coûte d’envoyer un engin pareil par colis ???
- Non, missieur, mais votre bureau di poste il pourra sûrement vous renseigner.
- Mais je…
- Voilà missieur, toute l’équipe di Cdescons.com elle vous remercie di votre appel. En vous souhaitant un bon début de continuation de fin de journée, missieur. BIP… BIP… BIP…

Rideau

lundi 28 septembre 2009

lundi 21 septembre 2009

Le pharaon fainéant


On peut parfois légitimement se demander - non sans une certaine sensation de vertige - dans quelles mesquineries on serait prêt à se compromettre, dans quelles turpitudes on serait ravi de se vautrer, dans quels abîmes on ne tomberait pas de son plein gré pour éviter de se mettre au travail...

jeudi 17 septembre 2009

Festivinus

Lors du cauchemardesque « marathon du Médoc », un participant tout rougeaud d’enthousiasme :

C’est vraiment festif ! C’est la première fois que je viens mais je pense que ce sera pas la deuxième !

Le reportage, digne des meilleurs crus, se déguste ici.

lundi 14 septembre 2009

Rentrée de Vichy, rentrée réussie !


En cette rentrée, convenons-en, l’actualité sourit à la cohorte des « révoltés semi-officiels », des « insurgés du juste milieu » et autres « émancipateurs subventionnés » qui faisaient les délices de Philippe Muray. Pensez donc ! Quelques jours seulement après la mise à la retraite forcée du haut fonctionnaire nazillon Girot de Langlade, c’est au tour du ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux – celui-là même qui avait mis le précédent sur la touche – de faire son coming out raciste. Quelle aubaine ! De quoi faire bêler les troupeaux droits-de-l’hommistes au fascisme pendant des mois. De quoi aussi faire rebander toutes les ligues vigilantes après la trêve estivalo-festive.

Passons sur le fait qu’un court extrait de conversation, filmé par un amateur sur un téléphone portable avant d’être diffusé en boucle hors contexte, puisse aujourd’hui tenir lieu de preuve irréfutable de « dérapage » (comprenez : de la tenue de propos jugés racistes, misogynes ou homophobes), et ce sans que personne semble s’en inquiéter le moins du monde. C’est ce qu’il est désormais convenu d’appeler un « buzz ». Passons encore sur le fait que le jeune homme à qui s’adresse Hortefeux dans l’extrait en question ne paraisse nullement s’émouvoir de la plaisanterie de celui-ci. « En même temps, il est militant UMP », nous rétorquera-t-on d’un air entendu – argument décisif s’il en est.

Nous n’en sommes plus à ces détails, en réalité, comme le prouve l’hilarante ligne de défense du brave Brice (« Je parlais des Auvergnats »). Quand on y réfléchit plus de cinq minutes (laps de temps nécessaire pour passer le cap du simple mais exquis grotesque), cette déclaration prend une teinte surréaliste. Elle semble en effet impliquer que tous les participants à cette sinistre farce qu’on nomme « polémique », à commencer par le principal accusé, se sont mis d’accord sur le postulat suivant : si les phrases incriminées visaient bien les « immigrés » (là encore, il faut lire entre les lignes…), il y aurait indiscutablement « dérapage ». En d’autres termes, le bavardage (on n’ose dire « débat ») actuel ne saurait porter que sur la signification (bonne ou mauvaise) de la plaisanterie du ministre (c’est ce que l’on appelait, en d’autres temps, un procès d’intention) ; à aucun moment sur le droit qu’aurait quiconque de formuler ladite plaisanterie dans l’hypothèse même où celle-ci viserait bien les « immigrés ». C’est que ce droit est déjà devenu inimaginable, impensable.

La raison en est fort simple : nous savons bien, n’est-ce pas, où risque de nous mener ce genre d’humour. Mais si, vous savez : aux heures-les-plus-sombres-de-notre-histoire. Inutile de vous faire un dessin. On commence pété de rire ; on finit pétainiste. Les zygomatiques stigmatisent. Il est donc plus prudent de suivre quelques consignes de bon sens, par principe de précaution : faire de l’esprit, pourquoi pas, mais respectueusement ; se montrer ironique à la rigueur, mais sans ambiguïté mal placée ; jouer les sarcastiques éventuellement, mais avec tendresse et compassion ; être tolérant surtout, mais avec les gens qui pensent comme nous. À ce propos, l’accueil de Frédéric Mitterrand à la « fête de l’Huma » (haut lieu de la culture, comme chacun sait) sous les cris de « collabo » et d’ « enculé » était distrayant, à défaut d’être surprenant.

Il convient encore d’égrener l’éternel chapelet : l’histoire qui a tôt fait de se répéter ; le fascisme qui avance toujours masqué, etc. Le plus drôle, c’est que tout cela est parfaitement exact. Sans vouloir crier au loup à mon tour, je fais aujourd’hui le pari que si le fascisme devait faire son retour en Europe, il surgirait effectivement de l’endroit où on l’attend le moins. Quand, au nom du respect, de la tolérance et du mieux-vivre-ensemble, nos vertueuses ligues citoyennes, si jeunes, belles et fortes de leur « métissage », auront tari une à une toutes les sources de la critique et de l’humour, c’est-à-dire de la liberté, alors nous commencerons à rire pour de bon.

Je songe à ce tableau fascinant de Dali : Jeune vierge autosodomisée par les cornes de sa propre chasteté. Préparons la vaseline…


NB : Au moment de publier ce billet, je tombe, presque par hasard, sur un article intitulé : « Le ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux fêtera la fin du ramadan à Paris ». On n’a pas fini de rigoler !

dimanche 13 septembre 2009

Too black to see


With dark they built a fire against the log and ate plates of okra and beans and the last of the canned potatoes. The fruit was long gone. They drank tea and sat by the fire and they slept in the sand and listened to the roll of the surf in the bay. The long shudder and fall of it. He got up in the night and walked out and stood on the beach wrapped in his blankets. Too black to see. Taste of salt on his lips. Waiting. Waiting. Then the slow boom falling downshore. The seething hiss of it washing over the beach and drawing away again. He thought there could be deathships out there yet, drifting with their lolling rags of sail. Or life in the deep. Great squid propelling themselves over the floor of the sea in the cold darkness. Shuttling past like trains, eyes the size of saucers. And perhaps beyond those shrouded swells another man did walk with another child on the dead gray sands. Slept but a sea apart on another beach among the bitter ashes of the world or stood in their rags lost to the same indifferent sun.


Cormac McCarthy, The Road, 2006.

lundi 7 septembre 2009

Certains missiés y'en a abrutis quand même


Des marqueurs, du papier, des cartouches d’encre, un agenda, de la bière… Ah ! J’allais oublier l’essentiel sur ma liste de rentrée : une dizaine d’exemplaires de Tintin au Congo à mettre en sûreté avant que l’album tel qu’on le connaît ne disparaisse de la circulation. Mon reporter fétiche a beau être fortiche, je doute qu’il soit de taille à lutter contre de Joyeux Turlurons tels que Bienvenu Mbutu Mondondo (l’étudiant congolais qui a porté plainte contre Moulinsart S.A. pour racisme) ou Patrick Lozès (« Noir, tout simplement, pharmacien et président du CRAN » - dixit son blog) qui exigent sur tous les tons qu’un « texte didactique » soit inséré en préambule de l’album incriminé. Tintincaca, en somme.

C’est qu’elle est bien huilée, la rhétorique philanthropique de ces espèces d’individous. Tellement qu’elle en dégouline, à vrai dire. À aucun moment il n’est question de mutilation ni de censure. Pensez-vous ! Il s’agit simplement d’avertir, d’expliquer, de remettre en contexte. Comprenez : de faire acte de pénitence. Je m’amuse à parcourir du regard ma bibliothèque, pour estimer combien d’œuvres seraient susceptibles de se voir affublées d’un « texte didactique ». Car il ne fait nul doute que la bande dessinée n’est qu’une première étape : la littérature suivra. Autant vous avouer qu’il y a du boulot. De quoi régler le problème du chômage, même. C’est qu’il en faudra, des bataillons de rédacteurs pédagogues, pour nous rappeler que « Rabelais était tout de même fort grivois », que « Flaubert était peut-être un peu misogyne » (« Rodolphe Boulanger de la Huchette est un vilain garçon. Ne faites pas la même chose chez vous ») ou encore que « Céline avait beau être un bon écrivain, il lui arrivait d’être antisémite ».

Elle a de quoi faire sourire, d’ailleurs, cette obsession apparente de la « remise en contexte », quand la tendance actuelle est précisément à la négation du contexte, c’est-à-dire de l’évolution des mentalités, c’est-à-dire de l’histoire. Rappeler, même du bout des lèvres, que « nos valeurs » n’ont pas toujours prévalu est devenu un crime de lèse-société. Gloire à l’anachronisme et à la rétroactivité, qui nous confortent dans notre légitimité durement acquise ! Un petit téléfilm sur la lutte féministe de Madame de Pompadour par-ci, une représentation d’Antigone en costumes nazis par-là…

À quand la réécriture des œuvres elles-mêmes pour les mettre « au goût du jour », pour faire « qu’elles répondent mieux aux problématiques de notre société » ? Nous y viendrons peut-être. Pour avoir la paix, Hergé n’avait pas attendu, lui : les pèlerins qui baragouinent petit-nègre dans l’édition originale de Coke en stock parlent, dans la version actuelle, un français d’académicien. De même, Tintin faisant la classe dans l’album congolais y donne aujourd’hui une sommaire leçon d'arithmétique (« Combien font deux plus deux ? »), venue remplacer la célèbre tirade : « Mes chers amis, je vais vous parler aujourd’hui de votre patrie, la Belgique !... » - autrement plus drôle.

Car comme le rappelle Michael Farr (Tintin : le rêve et la réalité), Tintin au Congo demeure de très loin l’album d’Hergé le plus populaire en Afrique. Ah, ces Africains ! Ils ont beau ne pas être de grands enfants rigolards, ils ne se rendent pas compte des conséquences dévastatrices de leur humour. Il faut mener la lutte à leur place car ils prennent tout à la légère. Ils s’esclaffent en découvrant comment les blancs les percevaient il y a 80 ans alors qu’ils devraient déjà être en procès. Vous avez dit cliché ?

dimanche 6 septembre 2009

Une connerie avertie en vaut deux (au moins)

Fermeture d'une crèche pour cause de grippe A :
Le maire, par précaution, n'a souhaité prendre aucun risque.

jeudi 3 septembre 2009

Lost in translation

Lu ce matin dans la copie de version d'une étudiante convoquée à la session de rattrapage. Inutile de savoir l'anglais pour savourer la traduction :
Texte original
The turnaround suggests the limits of U.S. power in the world emerging out of the rubble of the financial crisis. Many countries, including U.S. allies, are increasingly putting pressure on America to clean up a mess they believe it created.
Traduction
Le tour de table propose une limitation des pouvoirs américains sur le monde émergent de la crise financiaire redondante. Beaucoup de pays, incluant les alliés américains, sont constament en train de pressioner l'Amérique afin qu'elle répare le bordel qu'ils croivent qu'elle a créée.

dimanche 16 août 2009

La réponse est dans la question

Un adolescent abat ses parents et son frère au fusil :
on ne connaît pas encore les motivations de ce coup de folie.

mercredi 5 août 2009

Fortune cookies

En épluchant mon courrier virtuel ce matin, je tombe sur ces deux messages, sûrement bienveillants, mais dont je n'aurai lu que l'objet : "N'utilise pas ta vraie" et "Désabricotez-moi !"
Deux conseils qu'il sera difficile de suivre en même temps, j'imagine...

mercredi 29 juillet 2009

Vaguement


Qu'est-ce ?
(Réponse en commentaire)

lundi 20 juillet 2009

Tout en respectant aussi des choses qui peuvent exister

C’est plus fort qu’elle. Quand la gauche se ridiculise, ce qui devient une fâcheuse habitude, la droite – compatissante – ne peut se résoudre à la laisser se noyer seule et plonge donc à son tour, tête baissée. C’est presque une forme de courtoisie, un aveu de dette (« C’est le moins qu’on puisse faire… ») Et d’envoyer, par exemple, l’impayable Fadela Amara au 20 Heures de France 2, lundi 13 juin, pour commenter l’affaire Orelsan. Amis du parler-cash, accrochez-vous bien à vos slips…

NB : Je précise, pour les optimisto-sceptiques, que ma transcription est fidèle au mot près. Ceux qui liront ce billet suffisamment tôt pourront s’en convaincre en allant sur le site de France 2, où les JT sont archivés huit jours. C’est en pensant à tous les autres, malchanceux, que j’ai pris mon courage à deux doigts.

- Fadela Amara, les festivals ont raison d’être sur la réserve, de refuser cet artiste, ou bien est-ce que la liberté de création doit primer sur tout ?

- Écoutez je vais peut-être vous étonner mais moi je suis très très attachée à la liberté d’expression… mais je comprends parfaitement les organisations féministes ont eu raison de contester, nous sommes dans une démocratie, elles ont le droit de s’exprimer. C’est vrai que on mesure pas mais la chanson d’Orelsan – le rappeur, donc – est une chanson dans laquelle on parle des femmes mais d’une manière extrêmement abjecte. Quand on a dit ça, en réalite, on n’a pas dit grand-chose, pasque la vérite c’est que on est dans une posture artistique et je pense que on est dans des sujets qui prêtent à polémique. On est aussi dans une instrumentalisation politique pasque j’ai cru comprendre qu’y’a des pressions à la subvention qui sont faites…

- Là vous parlez de Ségolène Royal, la présidente de la région, qui avait dit : « Si vous programmez cet artiste, la subvention disparaîtra ». Elle n’a pas encore réagi, là-dessus, Ségolène Royal.

- Oui, moi je trouve que – si c’est vrai – je trouve que c’est grave, et puis de toute manière ça a pas lieu d’être dans notre pays. C’qui est intéressant en réalite c’est que le milieu du rap en réalite a très mauvaise presse globalement, pasque ce sont surtout des chanteurs qui revendiquent un certain ensemble de choses mais ils le revendiquent d’une certaine manière qui peut aussi, j’dirais, hérisser le poil – sinon plus – à beaucoup d’entre nous.

- Alors vous voulez les réunir. Pourquoi ?

- Moi j’ai souhaité les réunir autour d’une table ronde, mais ça date pas d’aujourd’hui, hein, ça date d’un bout de temps, y compris quand j’étais dans mes anciennes fonctions ; pasque je crois que justement le sujet s’y prête totalement et l’illustre parfaitement. Je crois qu’il faut à la fois respecter la liberté d’expression, la liberté artistique, auxquelles nous sommes tous très attachés… mais en même temps il faut trouver le point d’équilibre, donc cette manière de pouvoir exprimer un certain ensemble de choses en les dénonçant et en revendiquant… tout en respectant aussi des choses qui peuvent exister.

- Vous leur lancez une invitation ce soir ?

- Oui moi je lance une invitation. Je souhaiterais organiser une table ronde – tout le monde est le bienvenu – je crois qu’en fait c’est un rendez-vous qu’il faut pas manquer. Il faut que le milieu du rap et tous les rappeurs fassent la démonstration – et je pense particulièrement à un jeune rappeur qu’est très à la mode en ce moment mais qu’est un rappeur qui revient de loin aussi, qui s’appelle Larsen, qui a fait un excellent travail, sur lui-même aussi, qui est un vrai artiste qui dénonce beaucoup de choses, mais qui le denonce avec une intelligence extraordinaire. Je pense que ce serait intéressant que tous les rappeurs se réunissent, qu’y ratent pas ce rendez-vous, de faire la démonstration qu’on peut dénoncer, qu’on peut dire des choses, être contre l’injustice… et en même temps être dans un cadre qui respecte aussi les personnes.

- Pas d’interdiction mais des discussions ?

- Non j’pense pas qu’y faille interdire mais j’pense surtout qu’y faille plutôt, là, dialoguer.

lundi 13 juillet 2009

J'entends le renard


Merci infiniment à A*** de m'avoir fait découvrir ce bijou, que je ne cesse désormais d'écouter, religieusement.
Heureusement qu'elle ne comptait pas chanter aux Francofolies, elle...

mardi 7 juillet 2009

Une Porsche, une vache, une patate

Il y a tout juste une semaine, après deux longs mois d’attente, je prenais enfin les commandes de ma nouvelle voiture. Eh bien il faut être honnête : on a beau prétendre ne pas s’attacher aux biens matériels, on a beau clamer qu’on se contenterait tout aussi bien d’une poubelle à quatre roues si elle était capable de nous conduire d’un point A à un point B, on prend tout de même rapidement goût à une belle bagnole bien rutilante.

Je ne dis pas ça parce que je l’ai polishée jusqu’à en attaquer la peinture pourtant neuve, ni parce que j’ai dormi dedans cette nuit. Mais tenez, ce matin, par exemple, j’ai écrasé à coups de batte la gueule de deux pédés qui faisaient mine de s’en approcher. Après enquête, il s’est avéré qu’il s’agissait seulement de deux touristes égarés qui voulaient me demander leur chemin. Ouf ! J’en ai profité pour leur montrer mon super GPS. Ils étaient ravis !

Cet après-midi, je vais faire quelques emplettes pour égayer l’intérieur de mon bolide : parfums d’ambiance, gainages en cuir, pare-soleil Titi et Grosminet… Mais pas de chien de plage arrière, hein. D’abord, je viens d’abandonner mon vrai chien à la SPA pour ne pas qu’il me foute des poils dans le coffre ; c’est certainement pas pour en prendre un faux. Et puis j’aurais trop peur de passer pour un beauf.

jeudi 2 juillet 2009

Fool art


lundi 29 juin 2009

Dawn of the Dead

Couché vers minuit et demi, je me retourne et m'énerve dans mon lit depuis 4h30 du matin. De guerre lasse, je finis par venir "surfer" un peu. Il y a des aubes, comme ça, où l'on a vraiment la désagréable impression d'être un geek...

mardi 23 juin 2009

Top délire méga groove


Depuis le temps, j’aurais pourtant dû retenir la leçon : je suis absolument incapable de travailler en écoutant de la musique. Mais c’est plus fort que moi ; quand le travail en question est particulièrement fastidueux, je surestime mon pouvoir de concentration et retente ma chance. Hier, alors que je jouais les scribes en recopiant, pour la thèse, des citations glanées lors de diverses lectures, j’ai ainsi eu l’excellente idée de lancer un petit pot-pourri de tubes des années 90. (Bloody nostalgia!) Voilà le résultat :


In many ways, faith in the eighteenth century seems to concentrate upon itself a whole set of tensions and contradictions. On the one hand, for instance, a lot of Anglicans wondered how and why yesterday you told me ’bout the blue blue sky, and all that I can see is just a yellow lemon-tree. In this respect, the writings of the then Archbishop of Canterbury are particularly revealing: “What if God was one of us? Just a slob like one of us? Just a stranger on the bus, trying to make his way home?”

Yet on the other hand, Protestantism as a whole went through a series of changes. Whereas the doctrines which composed it had been rather simple et funky since the Reformation, from the 1720s onwards it tended to become Beregovoy, aussi vite que Senna, je veux atteindre le nirvana.

For modern readers of course, this apparent paradox may be puzzling, but that’s okay cause I’ve got no self-esteem. After all, it should be kept in mind that such changes did not only take place in Britain but also throughout Europe and even, to a certain extent, around the world around the wooooorld around the world around the wooooorld – particularly after 1776. Indeed, it was no coincidence that George III’s famous statement (“Love me, love me, say that you love me, fool me, fool me, go on and fool me.”) was delivered that very same year. As a result, our first purpose will consist in determining if it makes you happy it can’t be that baa-a-a-ad, if it makes you happy then why the hell are you so sad?



Je vous invite d’ores et déjà tous à ma soutenance (pas de baskets, s’il vous plaît). Il y aura un DJ et une boule à facettes. J’ai hâte !

samedi 20 juin 2009

Et moi, et moi, émois…

Le premier paradoxe, c’est qu’à la revendication formulée des millions de fois, pour chacun, d’être soi-même – c’est-à-dire, aurait-on pu croire, d’assumer sans entraves son originalité, son caractère unique, irremplaçable, irréductible à la norme – semble correspondre une société où les êtres sont de plus en plus semblables, et leurs aspirations plus semblablement limitées, leurs phrases plus semblablement prévisibles : plus chacun est soi-même, mieux tout le monde est pareil, médiocrement pareil.
Le deuxième paradoxe, jumeau du précédent, c’est qu’à la sommation innombrable, à tout instant et par tous les moyens proférée, de s’ouvrir à l’autre, à l’étranger, à toutes les cultures, et d’installer en soi-même comme en la cité le multiculturalisme, en somme, le pluriethnisme, l’aimante pluralité de tout, paraisse correspondre un monde où les lieux et les esprits des lieux sont de plus en plus interchangeables, pareillement affligeants en leur laideur et leur docile conformité à de piteux critères uniques. (pp. 36-8)

Renaud Camus, Syntaxe ou l’autre dans la langue, 2004


Contrairement au sentiment sans doute dominant de l’époque, l’insensibilité au jugement d’autrui n’est en aucune manière une qualité en soi ; et elle n’a pas du tout la même signification morale, ni surtout la même valeur, selon qu’elle est éprouvée par une personne qui s’en sert à protéger ses bonnes actions ou bien ses mauvaises, ses bons sentiments ou ses haines, sa nocence ou son innocence. Il se trouve hélas que la très légitime faveur dont jouit ce trait de personnalité quand il contribue à soutenir la liberté d’esprit et à défendre les comportements généraux, bénéfiques, méritoires, éclairés, qui ne sont pas jugés tels par un entourage ou un public abusés, que cette popularité et cette estime qui saluent l’indifférence à l’opinion des autres, se sont étendus bien à tort à des manifestations de cette particularité psychologique et morale où ne se reflètent rien d’autre, à la vérité, que l’absence de scrupule ou l’engourdissement, pour ne pas dire pis, de la conscience éthique. (pp. 166-7)

Renaud Camus, Éloge de la honte, 2004

jeudi 18 juin 2009

Le savoir-parler-moderne : leçon 1

– Tu bouges sur Paris, ce week-end ?
– Ouais. Je vais voir l’expo Warhol. C’était vraiment un Grand-Monsieur de l’art contemporain. Je suis assez fan.
– C’est clair. Quand tu vois ses photos, c’est que du bonheur.
– Et toi, tu bouges aussi ?
– Ce week-end, c’est juste pas possible. On a décidé de rester tranquilles avec ma copine. Ça devrait être plutôt pas mal.
– C’est du lourd ! Bon week-end, alors.
– Y’a pas d’souci.

lundi 15 juin 2009

The Good Old Days

Gallantry was, of course, a man’s world. Yet, at least in racy London society, ladies were assumed to possess strong sexual appetites and the right to their gratification. They were not kept prudishly innocent or ignorant, as perhaps in Victorian times, for sex manuals, such as Aristotle’s Masterpiece, seem to have circulated widely among women (…). London waxworks mounted ‘educational’ displays of female reproductive organs. And the Nottingham Weekly Courant of 26 November 1717 carried an advertisement informing readers that:

Any able young Man, strong in the Back, and endow’d with a good Carnal Weapon, with all the Appurtenances thereunto belonging in good Repair, may have Half A Crown per Night, a Pair of clean Sheets, and other Necessaries, to perform Nocturnal Services on one Sarah Y---tes, whose Husband having for these 9 Months past lost the Use of his Peace-Maker, the unhappy Woman is thereby driven to the last Extremity.

Roy Porter, English Society in the Eighteenth Century, 1982

samedi 13 juin 2009

Cri(cri) d’amour

Il n’y a donc plus ni pères, ni mères, ni enfants. Seulement des papas, des mamans et des bout’chou. Provisoirement, d’ailleurs, car les deux premiers seront eux-mêmes bientôt remplacés par le générique parent. (Exemple : « Hier, avec mon parent, on est allés au zoo »). L’unisexe, on dira ce qu’on voudra, c’est plus pratique et moins fasciste. Encore un peu de patience.

En attendant, disais-je, papa-maman et leurs bout’chou se portent bien. Tendez l’oreille si vous n’êtes pas convaincus. « Blocage des universités : les mamans contre-attaquent ». « Le papa qui maltraitait son bout’chou depuis 43 ans sans qu’aucun voisin ne s’en aperçoive a été interpellé ». « La maman avait congelé ses bout’chou mais le papa la soutient », etc. C’est acquis. Inutile de s’appesantir.

Je propose, en revanche, d’aller plus loin, pour mettre fin à une odieuse inégalité de traitement. Avant même de devenir papa ou maman, n’est-on pas, en effet, amoureux ou amoureuse ? Dès lors, à quoi bon chanter les louanges de la parentalité si l’on discrimine le couple, en lui niant la part d’émotion publique qui lui revient de droit ? Je suggère donc que nous fassions un travail sur nous-mêmes et que nous nous efforcions de corriger nos mauvaises habitudes, à commencer par celle qui consiste à employer des mots aussi sordidement dénués d’affectif que mari, femme, compagnon ou compagne. D’aucuns trouveront peut-être le défi difficile à relever, mais le jeu n’en vaut-il pas la chandelle ? Imaginez avec quelle béatitude nous lirions ou entendrions les gros titres de demain : « Le Président s’est rendu à Londres accompagné de sa bibiche chérie ». « Catastrophe aérienne : 224 morts dont 96 sucres d’orge et 55 pupuces ». « Une comédienne battue à mort par son biquet d’amour ». How’s that for starters?

mardi 9 juin 2009

dimanche 7 juin 2009

A big eye is watching you


Cher directeur de thèse,

Je suis bien arrivé à Londres, sous un temps médiocre. J’ai commencé mes travaux de recherche à la British Library. Certes, ceux-ci avancent assez lentement : il y a des hauts et des bas et j’ai parfois le sentiment de tourner en rond. Je commence cependant à prendre un peu de hauteur et à mettre les choses en perspective. J’ai même, à cette heure, une bonne vue d’ensemble.

Bien à vous,
Votre studieux thésard

samedi 23 mai 2009

Not as a dodo


Marley was dead, to begin with. There is no doubt whatever about that. The register of his burial was signed by the clergyman, the clerk, the undertaker, and the chief mourner. Scrooge signed it. And Scrooge's name was good upon 'Change, for anything he chose to put his hand to.
Old Marley was as dead as a door-nail.
Mind! I don't mean to say that I know, of my own knowledge, what there is particularly dead about a door-nail. I might have been inclined, myself, to regard a coffin-nail as the deadest piece of ironmongery in the trade. But the wisdom of our ancestors is in the simile; and my unhallowed hands shall not disturb it, or the Country's done for. You will therefore permit me to repeat, emphatically, that Marley was as dead as a door-nail.
Scrooge knew he was dead? Of course he did. How could it be otherwise? Scrooge and he were partners for I don't know how many years. Scrooge was his sole executor, his sole administrator, his sole assign, his sole residuary legatee, his sole friend and sole mourner. And even Scrooge was not so dreadfully cut up by the sad event, but that he was an excellent man of business on the very day of the funeral, and solemnised it with an undoubted bargain.
The mention of Marley's funeral brings me back to the point I started from. There is no doubt that Marley was dead. This must be distinctly understood, or nothing wonderful can come of the story I am going to relate. If we were not perfectly convinced that Hamlet's father died before the play began, there would be nothing more remarkable in his taking a stroll at night, in an easterly wind, upon his own ramparts, than there would be in any other middle-aged gentleman rashly turning out after dark in a breezy spot – say Saint Paul's Churchyard for instance – literally to astonish his son's weak mind.
Charles Dickens, A Christmas Carol, 1843

jeudi 21 mai 2009

Colloquial advice

M***, amie thésarde, s’inquiète de ne pas avoir suffisamment de temps pour soumettre une proposition de communication à un colloque. En réalité, on a toujours assez de temps pour ce genre de bluff. D’expérience, je puis même affirmer que c’est souvent dans l’urgence que les traits d’inspiration les mieux sentis (phrases en chiasme, jeux de mots et paradoxes soi-disant profonds, portes ouvertes enfoncées sous le masque de l’originalité…) viennent avec le plus de facilité. L’instinct de survie, probablement.

Non, le plus dur, c’est bien entendu de poursuivre l’escroquerie une fois sur place ; autrement dit de savoir dissimuler avec élégance le fossé béant qui ne manque jamais de séparer ladite proposition de la communication finalement pondue, l’élan lyrique prometteur de l’inavouable réalité.

Trois petites astuces de base pour y parvenir à peu de frais :

1) En guise de préambule, affectez l’enthousiasme en expliquant que, certes, vous étiez initialement parti(e) sur la piste évoquée dans le programme du colloque, mais que vos recherches vous ont peu à peu amené(e) à bifurquer vers une question à votre sens plus fondamentale encore (comprenez : les trois morceaux de phrase que vous avez griffonnés la veille au soir dans votre chambre d’hôtel). Insistez sur le fait que vous n’êtes pas responsable de ce changement de dernière minute, mais qu’il s’est imposé à vous, le sacripant. Par honnêteté intellectuelle, vous ne pouviez pas l’ignorer et choisir la facilité. Au besoin, illustrez votre agacement imaginaire d’une petite moue. Concluez cependant d’un air bienveillant et fataliste : « This subject is so vast and so complex, but on the other hand it’s so fascinating ! »
Autre avantage de cette stratégie : pour des raisons de temps, que chacun comprendra, ces confidences méta-méthodologiques tiendront lieu d’introduction à votre intervention et vous dispenseront donc d’en rédiger une vraie.

2) Plus prosaïque mais tout aussi efficace : abrutissez votre auditoire d’un florilège de « visual aids » fantaisistes : citations latines, portraits de personnages illustres (Churchill, Nelson, Noddy…), schémas, diagrammes, photos de cul, tout est bon à prendre ! Il s’agit avant tout de détourner l’attention générale des fadaises que vous êtes en train de débiter.

3) Si vos fariboles ne dépassent pas les 3 minutes au chrono, découvrez-vous un chat dans la gorge et buvez abondamment. Pour plus de réalisme, nous vous conseillons de préparer le terrain environ une heure à l’avance, en poussant des râles de moribond pendant les communications qui précèdent la vôtre. Pour marquer le coup, sortez ostensiblement de l’amphi. Sous prétexte de ne pas déranger plus longtemps vos congénères par vos expectorations, vous pourrez ainsi aller vous en griller une avant que ne vienne votre tour. Ne simulez le malaise cardiaque ou l’AVC qu’en dernier recours.

Dans la prochaine leçon, nous verrons comment répondre aux questions qui suivent votre communication.

Rester soi-même

« Je suis un type tout à fait normal, comme vous et moi… »

mercredi 20 mai 2009

D'humeur gore


Le premier qui me cherche aujourd'hui...

dimanche 17 mai 2009

Sans titre

Cette balade dominicale s’annonçait pourtant sous les meilleurs auspices. Les bords de Loire par temps gris avec mon chien. C’était sans compter sur la présence en ces lieux d’un de ces « artistes du quotidien » dont notre époque a le secret. Un vrai de vrai, hein ! Pas du chiqué. Au programme, dolmens bariolés en plastique posés au bord du chemin, photocopies de portraits divers agrafées aux arbres, chaises bleues disposées en cercle les pieds dans l’eau. Et les promeneurs – pardon, le public – nullement choqué par cette pollution visuelle manifeste (à l’heure où l’écologie est pourtant reine). Ravi, même, de déambuler parmi ces horreurs et de faire d’une pierre deux coups : s’aérer et se cultiver. Café chaud offert en prime. Qui dit mieux ? Les Parisiens ont bien leurs pubs dans le métro ; pourquoi la Province n’aurait-elle pas droit à ses expositions in situ ? Égalité.

Pendant que mon toutou prenait un malin plaisir à chier à deux pas d’un totem sordide (il ne leur manque que la parole…), je m’imaginais le « flyer » qui aurait pu (et même dû) accompagner cette manifestation « bon enfant » :

Sensible au métissage des lieux et des couleurs, Urbain Labita investit les bords de la Loire où il explore avec finesse les notions de nature et de culture, d’extérieur et d’intérieur, de dit et de non-dit. « Mon but est avant tout de surprendre le spectateur, voire de le déranger, affirme-t-il non sans audace. Je veux tendre à mes semblables un miroir sans complaisance et dresser un portrait chirurgical de notre société de consommation ». Mais s’il joue avec l’art, c’est aussi pour mieux s’en jouer et le déjouer. « Je veux dédramatiser l’art ; le mettre à la portée du public ». De fait, c’est en circulant au milieu des œuvres, dont ils seront comme les respirations, que les spectateurs leur donneront un sens – le leur – et se réapproprieront leurs lieux de vie quotidienne. Café offert.

lundi 11 mai 2009

Muray, II


Ça pourrait être cela, en fin de compte, le propre de la critique : repérer ce qui tend à rendre le roman impossible. Il y a donc la poétification de la réalité. Et aussi, en vrac : l’interdiction de se moquer ou de caricaturer (tout le monde est respectable) ; la victimocratie ; le primat des larmes et de l’émotion, mélange radioactif de résidus de gauchisme et de puritanisme ; le terrorisme du cœur ; le chantage au moi comme authenticité, comme preuve (et finalement comme œuvre : « Il me suffit d’exhiber mes blessures et d’appeler ça de l’art. Reconnaissez mes blessures comme de l’art et taisez-vous ! ») (…) ; la confusion organisée des sexes (alors qu’un bon romancier est toujours un très ferme différenciateur des sexes) ; la propagande homophile acceptée lâchement comme style de vie général (« On est tous un peu homos ») ; le devenir nursery-monde du monde, l’infantilisation généralisée (devant « l’intérêt de l’enfant », qui oserait ne pas s’agenouiller ?) (…) ; le modèle du racisme à toutes les sauces (invention du « sexisme » sur le moule du racisme, fabrication plus récente du « spécisme », crime consistant à voir une distinction entre les espèces)… (« Le propre de la critique », p. 5)

Chaque anniversaire, cinquantième, centième ou cinq centième, est le début d’une sorte de curée. D’une émeute douce. D’une espèce de jacquerie revancharde contre les seigneurs de l’ancien temps, contre les maîtres des vieux châteaux de la beauté, de l’harmonie et de l’intelligence. Chaque célébration est le signal d’une compensation, d’une récupération de ce qui est censé avoir été volé aux masses. Tout commémoré, aussi, est un accusé en puissance. On est en droit d’exiger de lui, de façon posthume, une réparation, des dommages et intérêts, ne serait-ce que pour s’être illustré, jadis, à titre personnel. Le grand art du passé était une forme d’accaparement que nous ne pourrions plus tolérer si, par extraordinaire, il se manifestait de nouveau. Les plus bruyantes gesticulations commémoratives ne veulent rien exprimer d’autre que ce que l’on disait naguère de la propriété : « Le génie, c’est le vol ! » La même affirmation, le même mot d’ordre résonne à travers toutes les manifestations du Tourisme, qui est l’autre nom de la Culture. Quand le commémoré s’y prête, les commémorateurs enrôlent les foules commémorantes dans des week-ends à thèmes et des symposiums ambulants où c’est d’abord le rituel touristique de la réappropriation de masse qui est célébré (ce que les tours-opérateurs culturels appellent « restitution au public » des sites injustement confisqués. (« Rabelais à Rabelaisland », pp. 44-5)

La Comédie humaine ne se complaît nullement dans sa propre noirceur. Elle est tournée vers le rire comme vers une extériorité bienfaisante, un « monde extérieur », un ailleurs respirable. Vers ce qui empêche le roman de se retrouver transformé en succursale de clinique humanitaire, hospice compassionnel, laboratoire de chirurgie esthétique, poétique et miséricordieuse. (« Un passeport pour la pensée (Balzac) », p. 105)

Madame Bovary aux postes de commande, c’est le ministre de la Culture, de la Vie et du Bonheur réunis. Parti des utopies de rupture intégrale, l’Avant-gardiste termine sa course dans l’adhésion intégrale sans avoir eu à renier le moins du monde ses idéaux « subversifs », qui s’accordent si harmonieusement, désormais, avec la « réhabilitation » de la France et les aspirations des nouvelles classes moyennes, soucieuses de leur bien-être, avides de « changement » et de standing culturel. La récupération étatique des formes les plus ravagées, leur exhibition comme valeurs positives, sont le pain quotidien du Novateur promu. Rien n’exprime mieux, de nos jours, les sentiments majoritaires et consensuels que l’éloge de la « modernité », mariée en secondes noces avec la propagande publicitaire et le business, tout en gardant à travers les décennies une petite coloration « critique » du meilleur effet. (« Portrait de l'avant-gardiste », p. 221)
Philippe Muray, Exorcismes spirituels I, 1997

mardi 5 mai 2009

L'étalon italien

- Tiens, hier soir j'ai regardé Rocco et ses frères.
- Sans rire ? Tu t'es fait un porno ?

jeudi 30 avril 2009

Did you say nonsense?

The articulation of nonsense is the recognition of an anxious contradictory place between the human and the not-human, between sense and non-sense. In that sense, these 'senseless' signifiers pose the question of cultural choice in terms similar to the Lacanian vel, between being and meaning, between the subject and the other, 'neither the one nor the other'.
Sorry if I sound rude or unpleasant. No offence, but... whatever the FUCK does that mean???

mercredi 22 avril 2009

Phalange strip-tease




Je remercie chaleureusement C***, amie thésarde, pour l’envoi de ces magnifiques – pour ne pas dire érotiques – clichés, sur lesquels, comme moi, elle est tombée en dépouillant les archives numérisées d’un périodique (voir mon billet « Digital version » du 24 mars). Notez bien les couleurs chatoyantes et la fantaisie du protège-doigt. Une touche de glamour qui, n’en doutons pas, saura ravir les universitaires les plus blasés au cours de leurs recherches.

C*** me suggère également – et je trouve l’idée excellente – de faire de ces trésors un album, un peu comme dans Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain. Le mouvement est lancé. Qui sait ? Peut-être un jour me mettrai-je en quête des petites mains qui se cachent derrière ces masques de latex.

jeudi 16 avril 2009

Mangez des pommes !

Guillaume Tell n’est certes pas l’opéra le plus connu de Monsieur Tournedos (à moins que ce ne soit Tournedisque). Il ne compte d’ailleurs « que » deux airs passés à la postérité : l’allegro vivace de l’ouverture* et le divertissement dansé par les villageois au premier acte.

Et pourtant, il gagne beaucoup à être découvert. Surtout dans la magnifique version mise en scène par Francesca Zambello et enregistrée à Paris Bastille, avec Thomas Hampson dans le rôle titre et Bruno Campanella à la baguette. Interprétation soignée, voix marquantes, décors sobres et cohérents et surtout, réalisation irréprochable. Voilà un opéra filmé qui « présente » mieux que bien des films-opéras. Un régal.

* Pour une version explosive de la fameuse – et maintes fois détournée – ouverture, on pourra aller jeter une oreille par iciCe petit malin s’est aussi payé l’ouverture du Barbier de Séville.

lundi 13 avril 2009

Histoire de Pâques

Au cours d’un voyage, alors que je visitais une église, une jeune femme charmante s’approcha de moi. Lunettes rectangulaires en plastique épais sur le nez, stylo et calepin à la main, elle me salua, m’expliqua (en chuchotant) qu’elle était journaliste pour je ne sais quel canard local et me demanda fort poliment si j’accepterais de répondre (en chuchotant) à deux ou trois questions.

Une fois mon accord obtenu, elle me confia que l’article qu’elle préparait avait pour sujet les cloches. Son objectif était de « déterminer quelle était leur influence sur la vie quotidienne des gens ». D’ailleurs, qu’est-ce que j’en pensais, moi, au juste, des cloches ? Un peu décontenancé, je bafouillai, en substance, que je n’en pensais pas grand-chose, voire rien du tout. Ma belle fit alors une petite moue dépitée : ma réponse n’était manifestement pas la bonne. Heureusement, j’avais droit à une session de rattrapage. Elle me tendit donc gentiment une nouvelle perche. Quand j’entendais sonner les cloches, par exemple en me promenant, quelles étaient mes impressions, mes émotions ? Je me concentrai du mieux que je pus. Il s’agissait de ne plus commettre de gaffe. Et de prouver que j’étais, moi aussi, un être sensible.

Oui, le son des cloches m’était agréable. Il m’apaisait, même. Un retour nostalgique à l’enfance, peut-être ; quand je l’avais entendu pour la première fois. Non, je n’étais pas croyant, mais il n’empêchait que j’étais touché par le carillon des mariages et des sorties de messe ou par le glas des enterrements qui ponctuaient la vie de toute cité, en étaient comme la respiration et me poussaient à des méditations profondes sur le grand cycle de la vie. De même, il me semblait que les heures égrenées au rythme des « ding-dong » remettaient un peu d’ordre, de sens, de chronologie dans nos vies affolées de citadins pressés et nombrilistes.

Mon interlocutrice sembla pleinement satisfaite de ces paroles inspirées, de ces aveux pudiques qu’elle avait su m’arracher en perçant ma carapace dans une brève mais complice parenthèse. Ce n’était pas rien, après tout, que d’avoir réussi à mettre au jour les pensées intimes d’un anonyme dans les ténèbres humides de ce lieu spirituel (à deux pas du confessionnal, qui plus est – tout un symbole !) Après avoir murmuré un enthousiaste « Oh, c’est bien ça ! » tout en griffonnant sur son calepin, elle me remercia chaleureusement, tourna les talons et se mit en quête d’une nouvelle proie. Elle avait fait son travail ; et pas qu’un peu.

En quittant l’église, je songeai, honteux et aigri, à toutes les fois où j’avais pesté contre le conformisme ahuri et mièvre de l’homme de la rue qui s’étalait à qui mieux mieux dans les media. Contre cette ribambelle de fictions convenues qu’on lui réclamait discrètement mais fermement et dont il était assez stupide pour se faire inlassablement l’écho. Contre ce flot de fariboles dont je prétendais vomir la lecture et l’écoute mais que je venais moi-même, en bon petit soldat, de régurgiter sur commande.

J’étais sonné. Je venais d’apprendre à mes dépens qu’on est toujours la cloche de quelqu’un.

jeudi 9 avril 2009

Paronymes de pointure

Il y a des confusions, des coquilles, des lapsus qu’on voudrait voir entrer dans la norme tant ils tombent sous le sens.

En lisant un document qu’on m’avait demandé de corriger, j’ai eu la chance de tomber sur l’un de ces trésors. Il y était question d’un truand sans envergure. L’auteur, ayant sans doute trop longuement hésité entre l’expression « au petit pied » et « à la petite semaine », avait fini par écrire qu’il s’agissait d’un « malfrat à la petite semelle ».

J’achète ! Sans ironie ni discussion.

Note : Ce billet me fait songer à la contrepèterie bien involontaire – du moins ai-je la naïveté de le croire – dont une étudiante m’avait honoré dans la langue de Shakespeare. Je pense qu’elle voulait dire « I gave him a wink » mais, si vous me passez l’expression, c’est autre chose qui était sorti…

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