Je dirais même plus...

samedi 28 février 2009

Mais je ne pleurais pas, moi

Vous raconter ce qu'on éprouve, à l`instant du départ, et comme votre cœur se brise à la rupture subite de ses plus tendres habitudes, ce serait trop long, je saute tout cela.

Le bon Pradier est venu nous dire adieu dans la cour des diligences. Au seuil de ce voyage vers l'antique, le plus antique des modernes accourant pour nous embrasser, c'était de bon augure. ll nous a abordés en nous disant : « Fameux, fameux ! Savez-vous ce que j'ai vu ce matin à mon baromètre ? beau fixe. C’est bon signe, je suis superstitieux, ça m'a fait plaisir. »

Nous sommes partis, la diligence a roulé sur le pavé des quais, avec son bruit de pieds de chevaux, de vitres et de ferrailles. Le temps était sec, le ciel clair, le vent soufflait.

Entre nous deux, dans le coupé, se tenait, sans mot dire, une dame d'une cinquantaine d`années, la figure emmitouflée de voiles, le corps enveloppé dans une pelisse de soie. Une jeune femme et un monsieur l'avaient conduite jusqu'au bureau. Quand on a tourné la borne de la rue Saint-Honoré, elle a pleuré. Elle allait en Bourgogne, elle devait s'arrêter le soir ou dans la nuit. Son voyage finissait dans quelques heures et elle pleurait. Mais je ne pleurais pas, moi, qui allais plus loin et qui sans doute quittais plus. Pourquoi m'a-t-elle indigné ? Pourquoi m’a-t-elle fait pitié ? Pourquoi avais-je envie de lui dire des injures à cette bonne femme ? Serait-ce que notre joie est toujours la seule joie légitime, notre amour, le seul amour vrai, notre douleur, la seule douleur qu'il y ait à compatir ?
Gustave Flaubert, Voyage en Orient, 1849-1851

mardi 24 février 2009

Dead and loving it


J’ai lu ce week-end le troisième épisode de la série Walking Dead (éd. Delcourt). Bonne surprise, décidément, bien qu’il faille reprendre ses marques visuellement, puisque le dessinateur a changé en cours de route (Tony Moore pour le premier épisode ; Charlie Adlard pour les suivants). Les personnages n’ont donc pas tout à fait les mêmes traits. En outre, le dessin d’Adlard me paraît moins soigné (silhouettes et décors plus rudimentaires, mouvements plus mécaniques, grisés et jeux d’ombres moins élaborés, débordements de cases injustifiés), quand il ne cède pas carrément à la facilité (réduplication de cases, par exemple).

Cela dit, l’ensemble reste cohérent et agréable à suivre, d’autant que le scénario (signé Robert Kirkman) est très bien rythmé (ce qui est l’essentiel dans ce genre d’histoire). Les personnages sont consistants, crédibles et nuancés ; les situations diversifiées ; les scènes d’horreur assez bien rendues (quoique répétitives parfois et pas toujours très recherchées graphiquement) et la tension permanente. Kirkman parvient à renouveler un genre (le « survival » dans un monde infesté de zombies) qu’on croyait usé jusqu’à la trame. Les techniques narratives utilisées empruntent beaucoup au cinéma, mais l’on n’a ici à faire ni à l’esprit subversif des films de Romero, ni à l’ambiance délirante d’un 28 jours plus tard (ni, Dieu merci, à la mièvrerie écolo d’un Resident Evil). J’espère seulement que cette série, qui selon les dires mêmes de son scénariste s’annonce longue, ne va pas s’essouffler ou tourner en rond dans les épisodes à venir. À suivre.

dimanche 22 février 2009

Coming soon


À quoi bon vous expliquer comment j’ai échoué là ? Je serais bien tenté de me justifier, de défendre mon honneur, de vous démontrer que ni ma moralité ni mon épanouissement ne sont à mettre en doute. Mais je n’en ai pas le temps et de toute façon, vous ne me croiriez pas. Peu importe.

Toujours est-il qu’en fouinant dans le rayon DVD d’un grand site web de vente par correspondance, vous aurez accès à une rubrique « Parodies X ». Or, cette dernière compte quelques longs-métrages (si je puis dire…) dont les titres au moins sont de véritables bij… euh, chefs-d’œuvre.

Sachez donc, bande de petits veinards, que pour une poignée d’euros, vous pourrez vous offrir :

Fuck and Furious
Sexual Suspects
Un gars deux filles
Les Baisées font du ski
(Y retrouve-t-on la fameuse scène du planter de bâton ?)
Baise-moi si tu peux
Bienvenue chez les ch’tites coquines
Ma sorcière bien baisée
(malheureusement épuisée – on la comprend !)
Nique Bill
Lannie, chienne infidèle
Matrik X
La Planète des seins

Et mon préféré :
Le Seigneur des anus (Orthographe non-contractuelle)

Alors franchement, qu’est-ce que vous attendez, au juste ?

vendredi 20 février 2009

Je vais prendre le 50-50


Vu Slumdog millionaire, de Danny Boyle. L’histoire d’un jeune homme des bidonvilles de Bombay qui, faisant des prouesses au « Qui veut gagner des millions ? » local, est accusé de tricherie et doit justifier ses connaissances en racontant plusieurs épisodes rocambolesques de sa vie.

Je n’aurais pas cru qu’il était techniquement possible pour un film qu’on a trouvé original, bien ficelé, drôle et pertinent pendant 1h50 de se saborder en moins de dix minutes et de sombrer corps et biens (avec même un certain enthousiasme kamikaze) dans la niaiserie bollywoodienne la plus outrée. Quel dommage ! À voir quand même, cela dit. Vous n’aurez qu’à partir avant la fin.

mercredi 18 février 2009

Délivre-nous du Bien


De Philippe Muray, je n’avais lu que le Céline, dont la « préface à la nouvelle édition », écrite en 2000, m’avait encore davantage marqué que l’essai lui-même. L’auteur y affirmait :

Le nom de Céline appartient à la littérature, c'est-à-dire à l'histoire de la liberté. Parvenir à l'en expulser afin de le confondre tout entier avec l'histoire de l'antisémitisme, et ne plus le rendre inoubliable que par là, est le travail particulier de notre époque, tant il est vrai que celle-ci, désormais, veut ignorer que l'Histoire était cette somme d'erreurs considérables qui s'appelle la vie, et se berce de l'illusion que l'on peut supprimer l'erreur sans supprimer la vie.

Autant vous avouer que ces quelques lignes avaient suffi à attiser ma curiosité. Je m’étais donc promis de lire un autre essai de Muray. Voilà qui est chose faite, avec L’Empire du Bien. Et je ne suis pas déçu du voyage !

Direction Cordicopolis, donc : le « Village Mondial » qui a érigé la fête en idéologie. Vous y apercevrez peut-être quelques cadavres, mais comme le dirait la mère Henrouille de ses momies, « ils sont nullement dégoûtants, Messieurs, Mesdames. Ils sont nus, mais pas indécents… »

Tous les antagonismes vidés de substance sont rhabillés pour les parades. Les certificats de bonnes vie et mœurs font comme les chaussettes, ils ne se cachent plus. Même les racistes, aujourd’hui, se veulent antiracistes comme tout le monde ; ils n’arrêtent pas de renvoyer aux autres leurs propres obsessions dégoûtantes. « C’est vous ! – Non, c’est vous ! – Pas du tout ! » On ne sait plus qui joue quel rôle. Le public est là, il attend, il espère des coups, des cris, il voudrait des événements. L’ennui guette, envahit tout, les dépressions se multiplient, la qualité du spectacle baisse, le taux de suicides grimpe en flèche, l’hygiène niaise dégouline partout, c’est l’invasion des Mièvreries, c’est le Grand Gala du Show du Cœur. (p. 30)

[L]es procès des médias par eux-mêmes comptent parmi les meilleurs gags. La logique du Show, plus implacable infiniment que toutes les « logiques de guerre » qui soient, consiste à organiser en virtuose sa propre critique, à télécommenter ses propres exploits, à grossir à plaisir ses travers, critiquer sa propre versatilité, barboter dans l’étalage de sa propre crise, dénoncer sa manière de gérer l’actualité en jouant à mort sur l’émotion, et boucler la boucle de sa bouffonnerie en ne laissant à personne le soin de feindre d’analyser mieux qu’elle-même, de façon plus joliment stéréotypée, l’affreux carrousel de ses clichés. (p. 76)

Le bluff du grand retour de flamme de l’individualisme, dans un monde où toute singularité a été effacée, est (…) une de ces tartes à la crème journalistico-sociologique consolatoire qui n’en finit pas de me divertir. Individu où ? Individu quand ? Dans quel recoin perdu de ce globe idiot ? Si tout le monde pouvait contempler comme moi, de là où j’écris en ce moment, les trois cents millions de bisons qui s’apprêtent, à travers la planète, à prendre leurs vacances d’été, on réfléchirait avant de parler. (p. 103)

À la fin, c’est le Consensus qui gagne. L’espace esthétique ou artistique est d’ailleurs un excellent domaine pour vérifier ce que je suis en train de dire. Toute l’histoire récente de l’art, sous l’éclairage grandissant du règne des bons sentiments, redevient très instructive. Si ce qu’on appelle art contemporain peut encore faire semblant d’exister, c’est uniquement comme conséquence du martyre des impressionnistes. En réparation. In memoriam. En expiation d’un gros péché. Qu’il soit minimal, conceptuel, anti-art ou extrême-contemporain, l’artiste d’aujourd’hui survit toujours à titre d’espèce protégée, en tant que résidu caritatif. (p. 121)

Une espèce de marée noire musicale beurre aujourd’hui les rives du monde. Tous les jours, des gens qui ne toléreraient pas que vous leur fumiez sous les narines vous soufflent leurs préférences aux oreilles. Les cordicolâtres sont des mélomanes infatigables. Il n’existe plus d’autre musique que la musique à écouter en groupe ; mais ne pas souhaiter l’entendre n’est nullement prévu au programme, ce serait comme de ne pas désirer ceux qui l’offrent à la cantonade. Batteries barbares. Synthés. Larsen tueurs. Compact-disques à guidage terminal. Leurs baffles sont des armes « propres ». (p. 145)

Traverser la France, en été, avec partout des annonces de festivals, dans les coins les plus pathétiques, sous les soleils les plus plombés, voilà un vrai voyage de science-fiction à travers les horreurs de l’optimisme, une descente dans les profonds secrets de la grande bouffonnerie cordicole de masse. (p. 146)

Philippe Muray, L’Empire du Bien, 1991

lundi 16 février 2009

Thèse-art

Apéritif très agréable, hier soir, en compagnie d’A*** et V***, comme moi doctorants. Tous trois gens sensés (c’est-à-dire rendus lucides par les bulles du champagne), nous cherchions le moyen miracle de nous affranchir du joug de la thèse et avons imaginé un expédient encore plus réaliste que le jackpot du loto. Il s’agirait de la rédaction d’un livre traitant du joug en question, dont le succès planétaire ne manquerait pas de nous rendre millionnaires. Le premier chapitre de ce chef-d’œuvre en puissance serait consacré aux symptômes de la thèse dans l’impasse. Exemples en vrac :

Un philanthrope (ou un inconscient) te demande sur quoi portent tes recherches et tu te rends compte que tu ne t’étais jamais vraiment posé la question.
Tu as mis en fiches 127.654.133 ouvrages (soit la moitié des collections de la BNF mais le quart seulement de la bibliographie de base conseillée par ton directeur de thèse) mais tu n’as pas l’ombre d’une problématique. (Alternative reconnue : Tu as mis en fiches 000.000.000 ouvrages mais tu n’as pas l’ombre d’une problématique).
Tu as dépouillé 60 ans d’archives d’un sordide périodique du XVIIIe siècle dans lequel les « s » sont écrits comme des « f » pour arriver à la conclusion qu’il ne te serait décidément d’aucune utilité.
À ton bureau, la moindre pause pipi devient une fête dont la perspective te réjouit un quart d’heure à l’avance.
Tu considères le jour de ta soutenance tantôt comme celui de ta délivrance, tantôt comme celui de ton exécution (et comme tu penses toujours en trois parties, tu en conclus que ce sera l’un
parce que l’autre).
En partant en week-end, le jeudi à 14h, tu étais tout content car tu pensais que « Histoire d’une dialectique et dialectique(s) d’une histoire » était un bon titre pour une première sous-sous-sous-partie qu’il ne te resterait plus qu’à rédiger ; mais en relisant ça le mardi matin suivant, tu as hâte d’être à jeudi.
Tu aimerais que ton ordinateur bouffe tout ton travail afin d’avoir une excuse valable pour péter les plombs, te poser en victime éplorée, et dire : « J’arrête tout ! »
Faute de virus informatique, tu aimerais que la grippe aviaire extermine la moitié de la population mondiale (dont, si possible, ton directeur de thèse) pour t’aider à relativiser.
Au lieu de rédiger ta prochaine communication, tu écris des billets débiles pour ton blog.
Etc., etc.

Seul problème : je suis sûr que l’idée a déjà été exploitée et qu’un fumier a trouvé le salut à nos dépens. Je vais aller me faire un petit loto, moi.

samedi 14 février 2009

Toyotattitude

Vous l’avez vue, celle-là ?
Du grand art, n’est-ce pas ? Ah, il y vont fort, les saligauds ! Surtout à l’heure du repas. C’est pas facile de garder ce qu’on vient de boulotter en voyant ça. Remontées acides assurées. Tu parles d’écologie !

Quand donc se décidera-t-on à euthanasier les esprits pervers qui pondent ces horreurs ? Ils sont dangereux ! Peut-être pas tout à fait autant que les Joyeux Turlurons qui avaient suggéré la création d’un « Ministère du Mieux-Vivre-Ensemble », mais c’est kif-kif.

Je songe à un conseil donné par l’humoriste américain Bill Hicks à son public, lors d’un de ses spectacles : « If anyone here is in advertising or marketing, kill yourself! »

Bah ne vous gênez surtout pas, les gars. Et comptez sur moi pour m’assurer que le corbillard qui vous emmènera au trou humanise votre immobilité.

jeudi 12 février 2009

Faites gaffe à la photo

La semaine prochaine, j’ai rendez-vous avec mon conseiller financier. Pour placer en Suisse les millions que me rapporte le trafic de sujets d’examen que j’organise dans ma fac. Mais ce n’est pas la question.

Naturellement, vous vous préoccupez à peu près autant de mon rendez-vous que de la première heure que vous avez lue sur une montre. Je ne vous en veux pas.

Mais mon conseiller, lui, c’est moins sûr. À l’heure qu’il est, il est peut-être même déjà en train de se préparer mentalement à ne pas dire un mot de plus que nécessaire. Pas comme lors de notre dernier entretien…

Je voulais ouvrir un compte et il lui fallait la photocopie de ma carte d’identité. Comme je fréquente la même agence (tout comme une partie de ma famille) depuis que je suis en âge de le faire, je lui demande de vérifier s’il n’a pas déjà cette pièce dans mon dossier. Il s’exécute et trouve effectivement une photocopie de carte d’identité.

– Parfait ! s’exclame-t-il en y jetant un œil. Puis, fronçant soudain le sourcil : Mais ! Ce n’est pas vous sur cette photo, Monsieur M***. Vous ne portez pas la moustache, vous ?

Et de me tendre le document devenu tout à coup suspect.

– Certes non, lui réponds-je après l’avoir moi-même examiné. C’est ma mère…

mardi 10 février 2009

Fessebook

Je sais, je sais… Le jeu de mots est facile et il a dû être fait un bon million de fois, mais c’est pourtant bien de cela qu’il s’agit. D’ailleurs, j’ai hésité entre ça et « Un quiz qui ne manque pas de selles », alors soyez gentils, considérez « Fessebook » comme un pis-aller et basta.

Je n’ai rien contre Facebook. J’y suis inscrit. Comme je le disais l’autre jour à un collègue et néanmoins ami, j’ai déjà plus de mal à comprendre les fonctionnaires de la révolte qui font mine de s’offusquer de l’établissement d’un fichier de renseignement comme Edvige par l’État français mais ne voient par ailleurs aucun inconvénient à révéler leurs orientations politiques, religieuses et sexuelles sur le site d’une colossale entreprise privée américaine ou à y publier des photos peu glorieuses (« Lol, gt en tr1 de décapsulé 1 bouteille de bièR avec lé orteils dans une mar de vomi !!! ») Mais fermons la parenthèse.

Tout à l’heure, en jetant un coup d’œil sur la page d’accueil dudit site, j’eus la joie d’apprendre que l’un de mes Facebook friends avait just taken the quiz : « Quel caca êtes-vous ? » (De mémoire, la réponse était : « Caca bariolé » – tout un symbole). Et l’on me proposait gaiement de take this quiz à mon tour, pour voir un peu.

À force de naviguer sur la toile, je pensais m’être à peu près immunisé contre le second degré à outrance (d’autant moins corrosif qu’il est souvent désamorcé à grand renfort de smileys), mais là, je vous avoue que j’ai eu un petit choc.

dimanche 8 février 2009

Carmen la belle infidèle ?

En écoutant Carmen de Bizet (version Johnson / Domingo / Raimondi), je m’amuse à lire quelques passages de la traduction anglaise du livret. À l’acte III, ça chauffe entre don José et Escamillo, qui se battent « à coups de navaja » pour les beaux yeux (noirs) de la cigarière. Escamillo a le dessus une première fois mais refuse de porter l’estocade à José sous prétexte que celui-ci n’est pas un taureau. Puis c’est au tour du brigadier redevenu soldat devenu déserteur de vouloir larder le torero. Cependant, entre deux parties de tarot pas franchement réjouissantes, Carmen arrive juste à temps pour interrompre la rixe. Escamillo la remercie avant de s’adresser à son rival. C’est alors que j’ai la surprise de lire ces lignes :

As for you, fine soldier,
I’ll have a return fight, and we’ll play for the beauty
Whenever you’re willing to meet again.

censées traduire celles-ci :

Quant à toi, beau soldat,
Je prendrai ma revanche et nous jouerons la belle
Le jour où tu voudras reprendre le combat.

Ce qui m’interpelle, c’est cette « belle » dont le traducteur a manifestement compris qu’il s’agissait de Carmen. Et pourquoi pas, après tout ? J’ai toujours pensé (sans jamais vraiment y réfléchir, cela dit) que la « belle » s’entendait ici au sens sportif, c’est-à-dire comme une partie devant départager deux adversaires à égalité (« a decider » en anglais, je crois). Le contexte le laisse tout de même assez nettement penser. Le traducteur du livret de la version Callas partage d’ailleurs cette opinion :

As for you, my fine soldier,
I’ll take my revenge, and we’ll play for two out of three
Whenever you wish to renew the fight!

two out of three » : deux manches gagnantes sur trois)

Mais présenter la bohémienne dont il s’est entiché comme le trophée du combat, voilà qui sonne finalement assez juste dans la bouche d’Escamillo. Alors autant y voir un petit double sens qui, en français, enrichit sa réplique.

Moralité : il faut vraiment être abruti pour aller regarder la traduction anglaise d’un opéra français…

Note :
La rédaction de ce billet me rappelle que, quand j’étais enfant, il existait, pour les diverses compétitions auxquelles nous nous livrions, au gré de notre imagination, une sorte de pyramide des revanches, bien entendu destinée à faire durer le plaisir du jeu. La « belle » n’en était qu’une étape (la troisième, après la « revanche » stricto sensu), mais cela continuait ensuite. C’était encore plus sophistiqué qu’un protocole de duel ! Le plus étonnant est que chacune de ces étapes – dont l’ordre même était continuellement sujet de disputes – portait un nom. Impossible de m’en souvenir, malheureusement.

samedi 7 février 2009

J’ai sniffé une boule de cristal


Je l’avais bien dit que ça allait rapidement devenir n’importe quoi, ce blog…

Tout est parti, je pense, d’un « Cendrillon » version Tex Avery que j’ai revu par hasard. J’ai toujours adoré le loup. Il illustre un type de personnage qui me fascine : le méchant qui ne peut plus ou ne veut plus assumer son rôle, soit – comme c’est le cas dans Tex Avery – parce qu’il est trop libidineux, soit parce qu’il est trop blasé, n’en a plus la force, n’y croit plus lui-même (un peu comme les profs parfois, en fait…)

J’ai donc voulu m’amuser à prendre le premier vrai méchant qui me venait à l’esprit (lui, évidemment – le seul de Tintin) et me livrer, à mon tour, à un petit détournement.

L’occasion aussi de rebarboter un peu dans la gouache, que je n’avais pas touchée depuis des années… et de me rappeler pourquoi ! J’ai voulu donner au dessin un côté vieille affiche pisseuse, genre réclame pour une exposition sur les « peuples primitifs », dans un sordide musée ethnographique de province, au début du siècle dernier. Oui, je sais, c’est très précis. Mais l’ensemble n’est guère convaincant. Il y a du boulot ! Enfin, c’était marrant à essayer.

vendredi 6 février 2009

Bien noir, l’humour


Moi qui parlais, il y a peu, du Monsieur Mardi-Gras Descendres de Liberge, voilà que je tombe, dans le Traité des excitants modernes de Balzac, sur quelques lignes dont le dessinateur-scénariste apprécierait certainement la lecture (ou l’a peut-être déjà appréciée, d’ailleurs). Moi-même, j’ai bien cru que j’allais rejoindre Victor Tourterelle en mourant de rire…

Voici le résultat d'une expérience faite à Londres, dont la vérité m'a été garantie par deux personnes dignes de foi, un savant et un homme politique, et qui domine les questions que nous allons traiter.
Le gouvernement anglais a permis de disposer de la vie de trois condamnés à mort, auxquels on a donné l'option ou d'être pendus suivant le formule usitée dans ce pays, ou de vivre exclusivement, l'un de thé, l'autre de café, l'autre de chocolat, sans y joindre aucun autre aliment de quelque nature que ce fût, ni boire d'autres liquides. Les drôles ont accepté. Peut-être tout condamné en eut-il fait autant. Comme chaque aliment offrait plus ou moins de chances, ils ont tiré le choix au sort.
L'homme qui a vécu de chocolat est mort après huit mois.
L'homme qui a vécu de café a duré deux ans.
L'homme qui a vécu de thé n'a succombé qu'après trois ans.
Je soupçonne la Compagnie des Indes d'avoir sollicité l'expérience dans l'intérêt de son commerce.
L'homme au chocolat est mort dans un effroyable état de pourriture, dévoré par les vers. Ses membres sont tombés un à un, comme ceux de la monarchie espagnole.
L'homme au café est mort brûlé, comme si le feu de Gomorrhe l'eût calciné. On aurait pu en faire de la chaux. On l'a proposé, mais l'expérience a paru contraire à l'immortalité de l'âme.
L'homme au thé est devenu maigre et quasi diaphane, il est mort de consomption, à l'état de lanterne ; on voyait clair à travers son corps ; un philantrope a pu lire le Times, une lumière ayant été placée derrière le corps. La décence anglaise n'a pas permis un essai plus original.

Honoré de Balzac, Traité des excitants modernes, 1839

C'est tout ce que j'aime

À R***, qui se reconnaîtra…
En voici un dont Raymond Calbuth aurait pu dire que « mine de rien, il assène un coup terrible à l’idéologie du fast-food et de l’impérialisme yankee » :

mardi 3 février 2009

If you have anything to say, shut up


First Communion day is the happiest day of your life because of The Collection and James Cagney at the Lyric Cinema. The night before I was so excited I couldn't sleep till dawn. I'd still be sleeping if my grandmother hadn't come banging at the door.

Get up! Get up! Get that child outa the bed. Happiest day of his life an' him snorin' above in the bed.

I ran to the kitchen. Take off that shirt, she said. I took off the shirt and she pushed me into a tin tub of icy cold water. My mother scrubbed me, my grandmother scrubbed me. I was raw, I was red.

They dried me. They dressed me in my black velvet First Communion suit with the white frilly shirt, the short pants, the white stockings, the black patent leather shoes. Around my arm they tied a white satin bow and on my lapel they pinned the Sacred Heart of Jesus, a picture with blood dripping from it, flames erupting all around it and on top a nasty-looking crown of thorns.

Come here till I comb your hair, said Grandma. Look at that mop, it won't lie down. You didn't get that hair from my side of the family. That's that North of Ireland hair you got from your father. That's the kind of hair you see on Presbyterians. If your mother had married a proper decent Limerickman you wouldn't have this standing up, North of Ireland, Presbyterian hair.

She spat twice on my head.

Grandma, will you please stop spitting on my head.

If you have anything to say, shut up. A little spit won't kill you. Come on, we'll be late for the Mass.

We ran to the church. My mother panted along behind with Michael in her arms. We arrived at the church just in time to see the last of the boys leaving the altar rail where the priest stood with the chalice and the host, glaring at me. Then he placed on my tongue the wafer, the body and blood of Jesus. At last, at last.

It's on my tongue. I draw it back.
It stuck.

I had God glued to the roof of my mouth. I could hear the master's voice, Don't let that host touch your teeth for if you bite God in two you'll roast in hell for eternity.

I tried to get God down with my tongue but the priest hissed at me, Stop that clucking and get back to your seat.

God was good. He melted and I swallowed Him and now, at last, I was a member of the True Church, an official sinner.

When the Mass ended there they were at the door of the church, my mother with Michael in her arms, my grandmother. They each hugged me to their bosoms. They each told me it was the happiest day of my life. They each cried all over my head and after my grandmother's contribution that morning my head was a swamp.

Mam, can I go now and make The Collection?

She said, After you have a little breakfast.

No, said Grandma. You're not making no collection till you have a proper First Communion breakfast at my house. Come on.

We followed her. She banged pots and rattled pans and complained that the whole world expected her to be at their beck and call. I ate the egg, I ate the sausage, and when I reached for more sugar for my tea she slapped my hand away.

Go aisy with that sugar. Is it a millionaire you think I am? An American? Is it bedecked in glitterin' jewelry you think I am? Smothered in fancy furs?

The food churned in my stomach. I gagged. I ran to her backyard and threw it all up. Out she came.

Look at what he did. Thrun up his First Communion breakfast. Thrun up the body and blood of Jesus. I have God in me backyard. What am I goin' to do? I'll take him to the Jesuits for they know the sins of the Pope himself.

She dragged me through the streets of Limerick. She told the neighbors and passing strangers about God in her backyard. She pushed me into the confession box.

In the name of the Father, the Son, the Holy Ghost. Bless me, Father, for I have sinned. It's a day since my last confession.

A day? And what sins have you committed in a day, my child?

I overslept. I nearly missed my First Communion. My grandmother said I have standing up, North of Ireland, Presbyterian hair. I threw up my First Communion breakfast. Now Grandma says she has God in her backyard and what should she do.

The priest is like the First Confession priest. He has the heavy breathing and the choking sounds.

Ah...ah...tell your grandmother to wash God away with a little water and for your penance say one Hail Mary and one Our Father. Say a prayer for me and God bless you, my child.

Grandma and Mam were waiting close to the confession box. Grandma said, Were you telling jokes to that priest in the confession box? If 'tis a thing I ever find out you were telling jokes to Jesuits I'll tear the bloody kidneys outa you. Now what did he say about God in my backyard?

He said wash Him away with a little water, Grandma.
Holy water or ordinary water?
He didn't say, Grandma.
Well, go back and ask him.
But, Grandma...

She pushed me back into the confessional.

Bless me, Father, for I have sinned, it's a minute since my last confession.
A minute! Are you the boy that was just here?
I am, Father.

What is it now?

My grandma says, Holy water or ordinary water?

Ordinary water, and tell your grandmother not to be bothering me again.

I told her, Ordinary water, Grandma, and he said don't be bothering him again.

Don't be bothering him again. That bloody ignorant bogtrotter.

Frank McCourt, Angela’s Ashes, 1996

dimanche 1 février 2009

Plus ego les uns que les autres

Que les masochistes qui croyaient révolue l’époque de l’idéologie Benetton et s’en attristaient se rassurent bien vite : elle se porte comme un charme