Je dirais même plus...

lundi 13 avril 2009

Histoire de Pâques

Au cours d’un voyage, alors que je visitais une église, une jeune femme charmante s’approcha de moi. Lunettes rectangulaires en plastique épais sur le nez, stylo et calepin à la main, elle me salua, m’expliqua (en chuchotant) qu’elle était journaliste pour je ne sais quel canard local et me demanda fort poliment si j’accepterais de répondre (en chuchotant) à deux ou trois questions.

Une fois mon accord obtenu, elle me confia que l’article qu’elle préparait avait pour sujet les cloches. Son objectif était de « déterminer quelle était leur influence sur la vie quotidienne des gens ». D’ailleurs, qu’est-ce que j’en pensais, moi, au juste, des cloches ? Un peu décontenancé, je bafouillai, en substance, que je n’en pensais pas grand-chose, voire rien du tout. Ma belle fit alors une petite moue dépitée : ma réponse n’était manifestement pas la bonne. Heureusement, j’avais droit à une session de rattrapage. Elle me tendit donc gentiment une nouvelle perche. Quand j’entendais sonner les cloches, par exemple en me promenant, quelles étaient mes impressions, mes émotions ? Je me concentrai du mieux que je pus. Il s’agissait de ne plus commettre de gaffe. Et de prouver que j’étais, moi aussi, un être sensible.

Oui, le son des cloches m’était agréable. Il m’apaisait, même. Un retour nostalgique à l’enfance, peut-être ; quand je l’avais entendu pour la première fois. Non, je n’étais pas croyant, mais il n’empêchait que j’étais touché par le carillon des mariages et des sorties de messe ou par le glas des enterrements qui ponctuaient la vie de toute cité, en étaient comme la respiration et me poussaient à des méditations profondes sur le grand cycle de la vie. De même, il me semblait que les heures égrenées au rythme des « ding-dong » remettaient un peu d’ordre, de sens, de chronologie dans nos vies affolées de citadins pressés et nombrilistes.

Mon interlocutrice sembla pleinement satisfaite de ces paroles inspirées, de ces aveux pudiques qu’elle avait su m’arracher en perçant ma carapace dans une brève mais complice parenthèse. Ce n’était pas rien, après tout, que d’avoir réussi à mettre au jour les pensées intimes d’un anonyme dans les ténèbres humides de ce lieu spirituel (à deux pas du confessionnal, qui plus est – tout un symbole !) Après avoir murmuré un enthousiaste « Oh, c’est bien ça ! » tout en griffonnant sur son calepin, elle me remercia chaleureusement, tourna les talons et se mit en quête d’une nouvelle proie. Elle avait fait son travail ; et pas qu’un peu.

En quittant l’église, je songeai, honteux et aigri, à toutes les fois où j’avais pesté contre le conformisme ahuri et mièvre de l’homme de la rue qui s’étalait à qui mieux mieux dans les media. Contre cette ribambelle de fictions convenues qu’on lui réclamait discrètement mais fermement et dont il était assez stupide pour se faire inlassablement l’écho. Contre ce flot de fariboles dont je prétendais vomir la lecture et l’écoute mais que je venais moi-même, en bon petit soldat, de régurgiter sur commande.

J’étais sonné. Je venais d’apprendre à mes dépens qu’on est toujours la cloche de quelqu’un.

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