Décidément, ces histoires pour enfants revisitées, il y a un truc. Décidément aussi, le fait d’arriver bien après la bataille devient chez moi une fâcheuse habitude… Chanter les louanges du Peter Pan de Loisel 20 ans après la publication de son premier épisode reste certes mon plus bel exploit. Il n’empêche, après en avoir dévoré les six tomes, je ne peux que confirmer ma première impression : c’est de loin la BD la plus ambitieuse que j’aie lue depuis très longtemps. Dans ma lancée de découvreur de talents, voilà maintenant que je m’extasie, tout naïf, sur le Pinocchio de Winshluss, presque deux ans après qu’il a obtenu le Fauve d’Or du meilleur album à Angoulême. Rapide à la détente, quoi… Je peux toujours me consoler en me disant que j’avais pressenti le lauréat 2010, mais bon… Quoi qu’il en soit, le Pinocchio en question, « très librement adapté du roman éponyme de Carlo Collodi » (c’est peu dire – il s’agirait plutôt d’une adaptation très libre du Disney, qui n’a déjà à peu près rien à voir avec le roman), ce Pinocchio, donc, est impressionnant de maîtrise technique. Les sources d’inspiration et les clins d’œil graphiques y sont innombrables, de l’univers Disney des années 50 (justement) au manga en passant par l'estampe, les affiches de films de série B et les comics. Chaque case est pensée comme un petit tableau, presque autonome. Il faut dire que la plupart d’entre elles sont muettes, ce qui ne laisse guère de place à l’à-peu-près, mais incite le lecteur à s’attarder sur le moindre détail. Côté scénario, rien à redire. L’angle d’attaque choisi par Winshluss est original : son Pinocchio n’est qu’un robot en ferraille sans conscience apparente, conçu par Geppetto comme une arme de guerre dont il espère tirer profit. Comme on peut s’en douter, la machine échappe rapidement au contrôle de son créateur et se met à errer à travers le monde. Témoin la plupart du temps passif de leurs turpitudes, il a pourtant le don de réveiller les instincts homicides de tous ceux qu’il croise. Mais il n’est pas facile de tuer un robot. Pour nous narrer ses déboires, l’auteur a le bon goût d’utiliser quelques ficelles finalement assez classiques mais là encore fort bien maîtrisées. L’histoire chorale sans la lourdeur : Pinocchio, Geppetto, Jiminy Cafard (!) et une foule d’autres personnages suivent des trajectoires indépendantes, toutes plaisantes à suivre, qui sont appelées à se croiser à un moment ou à un autre, mais toujours de façon inattendue. De même Winshluss a-t-il souvent recours au détournement de contes classiques, mais sans « iconoclasme » gratuit : il s’agit avant tout de servir l’histoire. On assistera donc, en vrac, à la naissance de Monstro, aux tribulations de la femme de Geppetto (ex-gloire de la photo de charme qui s’ennuie ferme à la maison), aux débordements d’amour des sept nains pour Blanche-Neige ou pour tout ce qui pourrait y ressembler, aux activités lucratives mais crapuleuses de Stromboli, PDG d’une multinationale du jouet, ou encore aux guerres sans merci que se livrent deux clowns despotes pour le contrôle de l’Île enchantée. Résultat : les ruptures de ton sont continuelles dans Pinocchio. Bien que l’ambiance générale en soit très sombre (y sont évoqués, entre autres, l’abandon, la pédophilie, le suicide, le trafic d’organes, la séquestration, le viol, le meurtre, la dictature, la stérilité, le fanatisme), des épisodes plus légers voire franchement comiques viennent ponctuer le récit, comme les « Aventures de Jiminy Cafard », écrivain raté qui a élu domicile dans le ciboulot de Pinocchio. Un vrai plaisir !
Je dirais même plus...
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dimanche 28 novembre 2010
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