Je dirais même plus...

dimanche 19 septembre 2010

Les aventures de « Monsieur Fromage »

De temps à autre, peut-être une fois tous les deux ou trois mois, j’ai droit au coup de fil de « Monsieur Fromage ».
« Monsieur Fromage » est une sorte de sondeur freelance. Il conduit des enquêtes auprès des consommateurs pour diverses sociétés. Je crois que son vrai prénom est Olivier mais je n’en suis plus sûr. Dans la famille, on le surnomme « Monsieur Fromage » parce que quand on l’a connu, il était employé par une boîte spécialisée dans les sondages sur les calendos, bries et autres livarots. C’était à l’époque où il prenait encore la peine de se déplacer un petit peu. Il arrivait toujours plus ou moins à l’improviste, avec sa mallette pleine d’échantillons. Autant dire que quand il l’ouvrait en fin d’après-midi, l’été, après une journée de tapin, on était rapidement mis au parfum, dans tous les sens du terme, et pas toujours les plus agréables. Et puis la boîte a fini par découvrir, en menant ses propres contre-enquêtes par téléphone auprès des personnes que « Monsieur Fromage » était censé avoir sondées, qu’il y mettait quand même pas beaucoup de zèle à faire goûter ses claquos… Parfois même, il s’est trouvé que les gens avaient jamais entendu parler de lui. « Un sondeur en fromages, vous dites ? qui serait passé chez moi ? Mais pas du tout ! » De se rendre compte qu’ils avaient loupé une dégustation à l’œil et qu’en plus on s’était servi à leur insu de leur nom et de leur adresse pour remplir un questionnaire bidon, ça les rendait enragés les gens. Alors il s’est fait virer, « Monsieur Fromage ».
Il a pas eu trop de mal à retrouver du boulot, avec la manie des enquêtes, des tendances, et tout ça. Mais maintenant, il a compris la combine. Bien finies les visites à domicile ! Plus d’emmerdements ! Depuis son canapé, il fait tourner son petit répertoire. Il appelle quelques habituels, bonnes poires dans mon genre, et leur annonce sans chichis la couleur : « Bon, je suis censé être passé chez toi. Je t’ai montré trois projets de publicité. Dis-moi lequel que tu as préféré, comme ça, au hasard. » Ou encore : « Je t’ai cité une liste de marques que tu dois évaluer. Tu leur mets 6/10 à toutes, n’est-ce pas ? » Bien sûr. Si tu le dis. On va pas chipoter pour si peu…
Parfois, c’est plus philosophique, plus profond : « Tu me dis lequel de ces pictogrammes correspond le mieux à ta vision de la vie, entre un petit bonhomme qui sourit, un qui a un air neutre et un qui fait la moue… » Et puis comme ça, sans transition : « Même question pour les pizzas Sodebo . » Faut suivre le fil… C’est pas toujours commode.
Mais que ce soit pour des parapluies ou des assurances, du jambon blanc ou des couches-culottes, faut être honnête, l’affaire est toujours rondement menée. En dix minutes, c’est plié. Juste le temps de me briefer sur mon identité du jour, au cas où ces fumiers de contrôleurs m’appelleraient pour vérifier un peu les bobards, voir si je serais pas par hasard un consommateur fantôme. Une vraie combine d’espion ! « Bon, aujourd’hui tu es un chômeur de 32 ans qui vit encore chez ses parents. » Ou alors : « Tu es chef de famille, tu as 54 ans et trois enfants, sinon tu comprends, ça rentre pas dans mes cases… » Il m’a à la bonne, je crois, « Monsieur Fromage ». Je le contredis jamais.
Je l’aime bien aussi, moi, qui suis pourtant pas friand du téléphone, et encore moins pour les enquêtes d’opinion. En donnant ma bénédiction à ses dingueries, j’ai l’impression de devenir un peu son complice. Je m’imagine qu’on pense déjà tous les deux, hilares, aux publicitaires qui se branleront sur nos statistiques arrangées à la sauce « je t’emmerde » pour créer leur prochaine campagne de pub décalée et anticonformiste… On a les plaisirs qu’on peut.

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