Elle nous aimait véritablement, elle aurait eu plaisir à nous pleurer ; survenant à un moment où elle se sentait bien et n’était pas en sueur, la nouvelle que la maison était la proie d’un incendie où nous avions déjà tous péri et qui n’allait plus bientôt laisser subsister une seule pierre des murs, mais auquel elle aurait eu tout le temps d’échapper sans se presser, à condition de se lever tout de suite, a dû souvent hanter ses espérances comme unissant aux avantages secondaires de lui faire savourer dans un long regret toute sa tendresse pour nous, et d’être la stupéfaction du village en conduisant notre deuil, courageuse et accablée, moribonde debout, celui bien plus précieux de la forcer au bon moment, sans temps à perdre, sans possibilité d’hésitation énervante, à aller passer l’été dans sa jolie ferme de Mirougrain, où il y avait une chute d’eau.
Marcel Proust, Du côté de chez Swann, 1913.
Marcel Proust, Du côté de chez Swann, 1913.
3 commentaires:
Ils sont souvent comptés aux durs absents qui m'offrent de forts moments d'espérance où je suis à la fois étourdis de fantasmes littéraires, héros lecteur de pages savoureuses pleines de beaux morceaux qui méritent les pages des dictionnaires récitatifs, mais aussi d'angoisses vertiges, brèves saillies où se mêlent l'impuissance et le désir qu'elles restent secrètes, je parcours ces pages de ton blog qui forment un bel inventaire à la Prévert, de l'entrée au dessert, rien ne manque de plaisir aux extraits de ces ouvrages que je n'ai pas lus et qui me manquent déjà.
Un éloge sous forme de pastiche. Que puis-je demander de mieux ?
Et cette "ferme de Mirougrain", vraiment, quel délice...
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