Je dirais même plus...

jeudi 24 juin 2010

STRIP TISSS !!!...

C'était un bar, et il ne semblait pas très prometteur. Des types seuls assis au comptoir, l'air de s'ennuyer ferme, des putes sur le retour. La voix de Julio Iglesias s'échappait tel un petit flot poisseux de hauts-parleurs dissimulés. Ángela éveilla des regards lascifs chez de gros hommes qui buvaient et fumaient assis à de petites tables à lampes accompagnés par des filles qui elles aussi avaient l'air de s'ennuyer ferme dans la pénombre mauve.
- Écoute, Escobar : Julio Iglesias.
- Oui, nous sommes au septième cercle de l'enfer.
Ils s'assirent dans l'obscurité du fond et commandèrent des whiskies. Ils allaient finir complètement ivres, accoudés au comptoir, l'air de s'ennuyer ferme. Julio Iglesias fut coupé en plein milieu de sa chanson sirupeuse, et une voix enthousiaste surgit des hauts-parleurs :
- Et maintenant, messieurs ! An nao, yéntlemen ! Le Septième Cercle a le plaisir de vous présenter ! Di Seven Circl is api tou prisent ! L'unique ! Di onli ! Le meilleur ! Di best! L'authentique ! Di autentic ! STRIP TISSS !!!... Avec les plus belles filles ! Di moust biutiful guerls ! de la nuit de Bogotá ! of di nait of Bogotá ! L'Athènes ! Di Athenas ! Sud-américaine ! of Sauz America !
On entendit un roulement de tambour, puis les premières notes de La Marseillaise. Les rideaux argentés d'une scène minuscule, au fond de la piste de danse, s'ouvrirent en bringuebalant. Il y eut quelques applaudissements aux tables. Des lumières de couleur s'allumèrent, et une fille jeune, vêtue de voiles de mousseline et portant des bracelets de métal entra en scène en clignant les yeux sous les projecteurs.
- Cléopâtre, reine de Babylone ! Cleopatra, cuine of Babilonia ! annonça le haut-parleur.
Et une musique orientale s'éleva aussitôt. Cléopâtre fit serpenter ses bras, ébaucha des pas de danse. Une esclave noire enchaînée commença à la dépouiller de ses voiles au rythme de la musique. Quand elle fut nue avec un petit cœur de lamé doré juste au milieu du sexe, la musique se tut. Les deux femmes saluèrent dans les bouffées douceâtres de sueur et de maquillage et reçurent des applaudissements diffus. Puis ce fut le tour de Rosita, la Collégienne - litl Ros, di scoulguerl -, fausse blonde à nattes portant un cartable plein de livres, vêtue d'une jupe à carreaux et de socquettes. Elle se déshabilla en se déhanchant et ne garda qu'un petit cœur rose sur le sexe.
- Pauvres gamines... ! commenta Ángela.
- C'est la nuit de Bogotá, expliqua Escobar en essayant de l'embrasser.
Ce fut alors le tour de Pascale, la Petite Française - Pascale, di litl French -, qui avait des seins énormes. Puis, de nouveau, l'esclave du premier numéro, sauf que cette fois elle était Irina, la femme panthère, et qu'on l'avait amenée dans une cage où elle grognait et tournait à quatre pattes sur une musique de cirque. Le numéro suivant s'appelait "La Consultation", di chek-ap : Cléopâtre, habillée en docteur, auscultait les seins de la petite Française avec un stéthoscope et finissait en faisant semblant de la violer sur une table d'opération rudimentaire. Et dans celui d'après - "Les Amies", De Gud Frends -, la Noire et la fausse blonde se caressaient et s'embrassaient sur la même table, couverte maintenant d'oreillers et de coussins de satin. Puis les rideaux de la scène se refermèrent définitivement, et Julio Iglesias se remit à chanter.
Antonio Caballero, Un mal sans remède, 2004.

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