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jeudi 19 mars 2009

Les survenants


Il est communément admis que l'écriture plonge ses racines dans la mémoire littéraire collective et qu’un écrivain vit avec certains de ses prédécesseurs, entretient avec eux une relation privilégiée, dialogue même parfois avec eux, comme avec des fantômes bienveillants à qui il lui arrive de demander, malgré la séparation des années et parce qu’il les sait situés hors du temps, conseil et protection.

Curieusement, cette relation de l’écrivain avec ses maîtres est toujours pensée comme dirigée vers le passé et jamais vers l’avenir, comme s’il était impensable de vivre, dans son travail de création, avec des écrivains n’ayant pas encore existé, et comme si cette communauté de créateurs, si importante dans le geste d’écriture, ne devait regrouper que les auteurs passés et présents, au détriment des auteurs à venir.

Or l’expérience de la création – et la solitude désespérante dans laquelle se trouve souvent le créateur – montre bien que celle-ci ne se pratique pas seulement avec les fantômes du passé, mais tout autant, et peut-être plus, avec ceux du futur, c’est-à-dire avec les écrivains encore à naître, qu’il s’agit à la fois, dans un mouvement de don réciproque qui est au cœur du processus de la création, d’aider à vivre et de placer au rang d’inspirateurs privilégiés.

Si l’écriture se fait bien en compagnie de certains fantômes, il conviendrait donc d’ajouter, aux revenants que sont les écrivains passés qui nous influencent, une autre catégorie de fantômes, que je propose d’appeler des survenants, lesquels sont convoqués par l’écriture et viennent fournir à l’écrivain – par ce surgissement que tout à la fois il espère et produit – les images inconscientes bienfaisantes de modèles à imiter.

Pierre Bayard, Le Plagiat par anticipation, 2009

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